Portrait du Fou
Le catamaran mouille dans un atoll remarquable, réserve intégrale, une autorisation fut délivrée par le gouvernement Calédonien. L’atoll des Chesterfield se situe à plus de 500 kilomètres dans le nord-ouest de la Nouvelle Calédonie. Il s’étend sur une centaine de kilomètres du nord au sud et sur une soixantaine d’est en ouest. L’atoll est formé de bancs de sable apparents ou tout juste émergés à marée basse, il est défendu par des récifs de part et d’autre. Un piège absolu pour le marin. On compte dans ces eaux nombre d’épaves, baleiniers ou navires de commerce. Fut un temps, on y exploitait le guano. Et on comprend pourquoi, l’atoll des Chesterfield accueille de nombreuses colonies d’oiseaux marins, fous, frégates, pétrels, noddis, pailles en queue…le paradis de l’ornithologue.
Ce matin-là, l’équipage est au repos. La veille, il a essuyé un mauvais grain dans la passe. Un jeune fou au pieds rouge vient se poser sur les filières. Il inspecte le pont, lève la tête, intrigué par le mat.
Ses cousins fous bruns et fous masqués tournent au-dessus du catamaran. Après quelques minutes, ils rejoignent l’aventurier.
Le fou aux pieds rouges regarde le mousse approcher sur le pont. Les deux partis prennent le temps de l’observation. Lui ne bouge pas. Le mousse tente un pas, puis en glisse un second.
Le fou n’est pas intéressé par le crouton de pain tendu par le mousse. Il ne connait pas le pain. Il n’est pas de la ville lui. Son royaume terrestre est aussi minuscule que ce petit ilot de sable recouvert de faux tabac pour toute végétation et qu’il partage avec des milliers d’oiseaux.
Son véritable royaume est sans limite : le fou règne sur la surface de l’océan.
Oiseau pélagique, le fou est un chasseur redoutable. Son anatomie est adaptée à son mode de prédation, à moins que ce soit son mode de pêche qui ait façonné son anatomie ? Son bec, assez long et pointu, est dans l’alignement parfait de sa tête dont le crâne est renforcé par des « amortisseurs » qui protègent ainsi son cerveau. Ce sont ce bec et ce crâne qui forment l’arme de chasseur redouté.
En vol, le fou repère les bancs de poisson. La proie repérée, il rétracte ses ailes et se laisse tomber. Sa vitesse peut alors atteindre 90km/h. Quelques secondes avant l’impact, il déplie ses ailes vers l’arrière et tend son cou. La décélération est brutale. L’oiseau devient flèche, puis torpille. Certains poissons sont assommés par l’onde de choc, d’autres sont traqués et avalés sous l’eau. C’est de ce mode de pêche littéralement « fou » qu’il tient son nom.
En fin de journée, à l’heure du ravitaillement, c’est le spectacle. La plage devient piste de décollage. Les escadrilles de fous quittent l’îlot, partent au large, tournoient, piquent, plongent, remontent, et recommencent.
Certains reviennent sur la plage, une proie dans le bec. Ils la déposent devant un immature, peluche blanche, pataude, encore incapable de voler mais prêt à dévorer le met rapporté par l’adulte.
Chic, un fou s’invite. C’est l’assurance de briser la monotonie du bord, il y aura du spectacle en pleine mer à l’heure du ravitaillement. C’est l’occasion de repérer un banc de poisson, d’aller y jeter un coup d’oeil et pourquoi pas une ligne. Le marin connait bien le fou, il en croise sur tous les océans. Le fou de bassan est le plus connu, son royaume est l’Atlantique.
Le fou est un compagnon de transocéanique. Grand voyageur, capable de rallier des distances de plusieurs centaines de kilomètres, le fou apprécie trouver une filière ou un bossoir pour s’y reposer.
Il n’est pas gênant le fou à bord.
Sauf qu’il appartient à la famille des « chic-ouf ».
Ouf, il repart. Alors le mousse sort le balai brosse… Le fou ne sait pas laisser les petits coins dans l’état où il les a trouvé…
Compagnon de route au vol élégant, chasseur redoutable, le fou est un habitant de l'océan respecté et admiré des navigateurs.
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