La transat' 2e partie Sainte-Hélène Rio de Janeiro



Escale à Sainte-Hélène

Il arrive que l’Histoire ternisse à tort une réputation. Ce qui fait dire que l’Histoire peut être injuste. C’est, semble-t-il, le cas de l’île de Sainte Hélène.

Napoléon y fut exilé. Après son abdication (22 juin 1815 – suite à la débâcle de Waterloo), il avait formulé le souhait de se rendre aux États-Unis ou, pourquoi pas, de s’installer dans un cottage en Angleterre où il y aurait écrit paisiblement ses mémoires. Les anglais en décidèrent autrement et l’expédièrent dans l’hémisphère sud. L’empereur, déchu et vexé de n’avoir pas obtenu satisfaction, s’en prit à l’île, lui léguant quelques phrases dans ses mémoires, faisant d’elle un sinistre lieu. Venteux, brumeux, chaud, humide. Sainte-Hélène, l’île d’un exil au bout du monde. La punition ultime. C’est ce qu’a retenu l’écolier français.

Certes, le marin, en approche de l’île, découvre un rivage hostile. Sainte-Hélène est pudique, elle cache ses attraits, il faut les mériter. L’équipage de Moetera s’y est rendu sous les meilleurs auspices, de son plein gré, fin avril. Sous les tropiques, les saisons intermédiaires sont les plus agréables, ni trop fraîches, ni trop étouffantes.

Jamestown, chef-lieu, se niche dans une vallée encaissée, deux rues parallèles, la gorge n’en aurait pas accueilli une troisième. Un « village-rue ».



L’île se découvre dans ses hauteurs. Il faut gravir l’Échelle de Jacob, un escalier de 699 marches (le capitaine), ou emprunter une route étroite faite de lacets creusés dans la roche basaltique (le mousse, qui non seulement à la nausée en mer, est aussi sujet au vertige… quelle plaie ce mousse), pour accéder aux plateaux, aux hameaux, aux maisons accrochées aux pentes. Des cratères verts, des pics, des collines. La petite île volcanique expose une diversité incroyable de paysages. Plaines lunaires, mamelons de roches et de sables volcaniques, forêts sèches tropicales, alpages, pics tapissés de fougères arborescentes, en quelques kilomètres, le promeneur aura découvert dix îles ! Et le marin se dégourdit les jambes dans de belles randonnées. Sur les sentiers escarpés surplombant les falaises, il savoure l’horizon indigo, 500 mètres plus bas, à pic, le ressac frappe les roches noires. Vertigineux.




Il aura, bien entendu, passé un moment à Longwood House, demeure de l’exilé bougon. Une reconstitution soignée, un ravissant jardin paysagé. Le « petit tondu », surnom donné par ses grognards, a décoré son cottage et dessiné son jardin au sommet d’un volcan immergé, isolé dans l’Atlantique Sud.


Instantanés de la vie quotidienne des « Saints »

  • Sur les portes des commerces, des affiches de bonnes pratiques d’hygiène s’adressent au « Saints », c’est ainsi que se baptisent les habitants de l’île. Ce sont les étrangers qui les nomment « Héléniens ».
  • Croiser une voiture et saluer son chauffeur. Croisement et geste sont indissociables.

  • Dans les rues du village, on se salue, on se parle, on se regarde. L’étranger est reconnu, pensez-donc, une communauté de 4500 habitants, tout le monde se connaît.

  • Samedi, c’est le jour des courses. On dirait que toute l’île se donne rendez-vous dans les épiceries de Jamestown. Le samedi soir, c’est « dance floor » sur les quais, les enceintes envoient le son dans la baie. Le dimanche, le village est désert. Où sont passés les Saints ?

  • Chaque matin, une file d’attente s’allonge devant l’unique banque, la Bank of St Helena. Chez l’épicier, on paie en espèces. Sur l’île, on a le temps. Une attente, c’est l’occasion de papoter.

  • Chez Ana’s, sympathique gargote logée dans le jardin public, les collégiennes viennent y prendre leur goûter après l’école. Elles sortent leurs smartphone de leurs cartables. Il y a du wifi. Internet reste coûteux, on l’utilise avec parcimonie.

  • Sur le quai inondé par la marée montante, un portique avec des cordes. Pour débarquer, on s’y agrippe. Les jeunes, eux, viennent s’y balancer et font des concours de sauts dans l’eau translucide.

  • Aux pieds des remparts du château, la piscine est fréquentée par la jeunesse. Dans sa largeur, trois petites filles s’entraînent, brasse, crawl, papillon, plongeons. Dans le fossé des remparts, un terrain de tir amateur. Sur le quai, un club de plongée. L’activité phare des îliens.

  • Un seul cargo en provenance du Cap, le Karoline ravitaille l’île une fois par mois. Les containers sont déposés sur les quais. Les colis sont exposés, les habitants viennent chercher leurs livraisons, les quais sont animés pendant une semaine.

  • Le retour des produits dans les rayons des épiceries se fait au rythme du dédouanement des containers. Impossible de trouver des pommes de terres. La chasse aux œufs, un vrai casse-tête !



  • Chez Ana’s est le rendez-vous des marins de passage. Du plafond pendent des dizaines de pavillons des pays du monde entier -même le breton of course!-. 4 voiliers français mouillent dans la baie. Une French Connection se retrouve Chez Ana’s, le dernier bateau arrivé, celui qui part le lendemain. On se croise, on se salue, convivialité.

  • L’hôtel du Consulat est probablement l’hôtel qui affiche sur ses murs le plus grand nombre au monde de portraits de Napoléon.

  • Sur le bord des chemins, les mimosas sont en fleurs. Ils parfument les randonnées.

  • Dans les falaises nichent paille-en-queue et sternes. Oiseaux blancs sur falaises noires.


Le départ

10 jours d’escale sur l’île. On s’y est plu. Après une soirée d’adieux mémorable, les capitaines ont décidé. Les catamarans appareilleront mercredi matin.

Un dernier salut à Le Lambert, qui reste encore quelques jours. Une belle rencontre faite sur les pontons de Walvis-Bay. On se retrouvera quelque part en Patagonie.

Moetera et Tao paradent dans la baie. Derniers signes d’adieu. L’émotion est forte. On se fait des promesses, on se filme. Grands gestes, yeux mouillés, gorge serrée.

Huit mois de navigation commune, ça compte dans une vie de marin. C’était prévu, les routes se séparent. Tao met le cap sur Salvador de Bahia puis ralliera les Antilles. Moetera fera escale à Rio de Janeiro et pointera ses étraves vers le sud.

Humeur nostalgique les premiers jours. On repense aux bons moments. On n’oubliera pas.

Le rythme de croisière hauturière reprend. Celui des quarts de nuit. Celui des repas, des siestes. 4000 km, 2200 milles, 20 jours estimés. À suivre.

L’équipage profite de conditions de navigation optimales. L’anticyclone de Sainte-Hélène est réputé pour sa régularité. Certes, il peut se déplacer, mais il reste prévisible. Une aubaine pour le marin. Le spi se gonfle sous le souffle des alizés. Moetera glisse sur un océan clément. Un soir, le capitaine propose une séance cinéma sur le pont, à la belle étoile.



Le capitaine en profite aussi pour réviser ses classiques. Il a sorti les tables de navigation et le sextant. Mesures, calculs, vérifications. Les calculs sont justes. Moetera ne perdra jamais son cap  !

Douze jours.

On est quel jour déjà ? Ah oui, samedi ? Le calendrier est devenu un concept insolite. Le temps n’est plus calendaire, il s’étire de lever de soleil en lever de lune. La distance parcourue en 24 heures tient lieu d’unité de temps. 110 milles, 160 milles, une moyenne journalière à 130 milles.

On prend le temps, quel luxe inouï dans ce monde de l’immédiateté !

La magie de l’océan fonctionne. Il y a une comme une douceur qui s’installe dans la relation.

On voudrait cet état infini.

Mais...


Samba sur l’Atlantique

On le savait, cela arrive régulièrement à cette saison (mai). Des dépressions remontent du sud et perturbent le front des alizés. À 250 milles des côtes brésiliennes, le cap est pris vers le sud ouest en direction de Rio de Janeiro. Moetera quitte le long et confortable tapis roulant est/ouest de l’anticyclone. Encore 550 milles avant l’atterrissage.

Et le catamaran est pris dans la danse.

Ce qui est surprenant, c’est la rapidité à laquelle il est emballé !

Dans la soirée, le capitaine affale le spi et lance foc et grand’voile pour la nuit. En à peine une heure, il fallut réduire le foc et prendre un, puis trois ris dans la grand’voile. Le vent a tourné, de travers. Il n’est jamais monté au-delà de 25 nœuds, quelques rafales à 30, pas de quoi…

Et pourtant l’état de la mer se dégrade.

Les vagues viennent frapper la coque du catamaran dans son centre, cette coque se situant à quelques dizaines de centimètres au-dessus du niveau de l’eau. Le vacarme du choc résonne, la structure vibre. Une houle plus large et plus haute remonte du sud. Le mousse a pris le temps d’en saisir le rythme, toutes les dix minutes, une déferlante attaque le bateau bâbord amure et inonde le cockpit. Le jet puissant de la vague d’eau salée se révèle un excellent abrasif pour le sol en flexiteck, le mousse est satisfait du nettoyage, il aurait peut être préféré qu’il fut réalisé dans des délais plus courts, mais il n'ira pas se plaindre au prestataire !

Entre Salvador de Bahia et Rio de Janeiro, il existe une immense chaîne montagneuse et volcanique immergée, Vittoria Trinidad, constituée de monts et de récifs coralliens d’une profondeur de 25 à 3000 mètres. L’endroit est observé par les scientifiques, car d’une grande richesse en biodiversité. La route traverse cette zone où les courants y sont contrariés par le relief accidenté.

Vent de travers, houle croisée, courants contraires. Dans le carré, Gégé-Chamboule-tout danse la samba comme un fou !

4 jours, 4 nuits. Banquette.

Pendant 12 jours, le catamaran n’a croisé que quelques cargos sur sa route. En fin de parcours, la fréquence s’accélère. Moetera traverse la route nord/sud qui longe le continent sud-américain.

La dernière nuit avant l’atterrissage, la houle s’est calmée, Moetera longe dans son sud le bassin du Campos, l’un des plus grands champs pétrolifères du Brésil. De jour comme de nuit, l’activité y est intense. La veille est attentive.

Après 17 jours de mer, et non 20/22 comme estimé au départ, les aléas égaient parfois la navigation, sinon, ce serait triste sur l’eau…, en début d’après-midi, le capitaine distingue une ligne sombre à l’horizon. Le Cabo Frio, cap à 60 milles à l’est de Rio de Janeiro. Une escale de repos avant d’atterrir dans la métropole brésilienne.

A Rio de Janeiro, Moetera mouillera à l’entrée de la baie de Ganabara, dans la petite baie de Urca, au pied du pain de Sucre.

What else ?

Traverser l’océan n’est pas un objectif, c’est une marche d’approche, dit le capitaine. Une approche lente dans un désert d’eau salée. La première grande destination du voyage se trouve au sud. Moetera espère naviguer dans le sillage du Vittoria, le trois-mâts  commandé par  Fernand de Magellan.



Commentaires

  1. 96 heures avec 3 ris dans la grand voile et le foc réduit entouré de pétrolier ça a dû être chaud quand même!!
    Vivement la Samba!

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    1. Un peu long et surtout secouant ! Heureusement la houle s'était bien calmée au moment de longer le champ de forages !

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  2. Pffff mais qu'est ce que je kiffe !

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