Afrique du Sud 1 - Doubler les caps

La lumière est belle en cette fin de journée dans la baie de Saldanha. Et le vent s’est calmé. Depuis une semaine, les haubans de Moetera sifflent sous les rafales d’ouest. A marée montante, la houle entre dans la baie. Le catamaran se balance. Un peu trop au goût du mousse. Alors le capitaine, en attente de pièces moteur, décide de choisir un mouillage dans le sud de la baie. Un long cordon dunaire sépare une lagune naturelle et se termine dans sa pointe nord par un relief de granit. On appelle cette formation un tombolo, le terme plaisait beaucoup à un groupe d’étudiants en révision de concours, il y a quelques dizaines d’années. Des petites maisons de chaux blanches s’accrochent à la roche rose. On se croirait en Irlande. La température est de circonstance, le courant qui remonte de l’Antarctique engourdit les mains et les orteils. Les otaries viennent saluer Moetera d’un coup de moustache.


Ici, le mousse prend plaisir à gravir le relief surplombant la baie. Il eut raison d’escalader les derniers rochers. Le point de vue est exceptionnel : à l’est la lagune s’enfonce vers le sud sur une quinzaine de kilomètres, à l’ouest, l’océan Atlantique vient frapper les récifs. Le regard porte loin vers le sud. Le cordon dunaire se prolonge sur une centaine de kilomètres. A l'horizon, oui, c’est bien la silhouette caractéristique de la Montagne de la Table que le promeneur distingue.

À Saldanha, il est possible de faire les procédures de sortie du pays avec facilité et dans le calme La table à carte du capitaine-.

C’est donc à Saldanha, dernière escale, que ces lignes sont écrites. Loin du grondement incessant des zones portuaires et des vacarmes urbains, le silence est retrouvé.

Il est temps de conclure ces 6 semaines de cabotage le long des côtes sud-africaines.


1000 milles

Le 16 janvier, après 6 semaines à terre, le capitaine décide de mettre cap à l’ouest. Un mois pour parcourir 1000 milles, de Richards Bay à Saldanha, ça va le faire.

Le capitaine étudie son routage. Le mousse est confiant, mais… passer le Cap de Bonne Espérance, tout de même, pour un matelot sans expérience, en voilà une expérience !

Avant le départ, le mousse a commis l’erreur de lire des récits de marins sur les passages, les tempêtes, les naufrages… et des articles sur la formation de ces fameuses vagues scélérates aussi hautes que 3 étages d’un immeuble. Cultiver son voyage n’a pas toujours l’effet attendu.

Alors confiant mais… un tantinet tendu tout de même, il faut l’avouer.


Un cap ? Deux caps ? Un long cap

Appréhender la difficulté du passage exige du lecteur une brève attention d’ordre géographique.

Le Cap de Bonne Espérance et son voisin, le Cap des Aiguilles, pointent leurs péninsules dans l’extrême sud du continent africain. Et ensuite, encore plus au sud ? L’immensité de l’Antarctique.

Dans le sens est/ouest, le premier cap à doubler est le Cap des Aiguilles, qui officialise la limite entre les deux océans, l’Indien et l’Atlantique. Le second, le Cap de Bonne Espérance, représente la jonction entre le courant des Aiguilles, prolongement du courant chaud du Mozambique, et le courant de Benguela qui remonte de l’Antarctique vers le nord.

Ce dernier fut surnommé « le cap des tempêtes » par son inventeur, Bartolomeu Dias en 1488, c’est à dire le premier marin à l’avoir franchi et en avoir fait la publicité auprès de son roi. Quant au roi du Portugal, il préféra le nommer « Espérance » car une fois franchi dans le sens est/ouest, c’est l’espoir du retour vers l’Europe qui grandissait. Le Cap de Bonne Espérance fut le passage obligé, attendu, espéré, redouté par les marins. Sa sombre réputation fit dire à l’un des plus talentueux d’entre eux, Francis Drake, combien «cette pointe est la plus terrible jamais doublée ».

Sa renommée était si désastreuse qu’elle a produit mille légendes dont celle du vaisseau maudit. On dit que le Hollandais Volant, lançant un défi aux éléments déchaînés, laissa sombrer son brick au large du Cap de Bonne Espérance. Il fut alors condamné à errer sur les océans. De nos jours encore, quand les rafales cinglent, que déferlantes et scélérates provoquent le chaos dans les mers du sud, les bateaux sont à l’abri au port. Alors, dans les estaminets de Cape Town, les marins désœuvrés confient avoir aperçu, un jour comme celui-ci, ajoutent ils, ce grand brick au gréement en lambeaux pointant son étrave vers le cap de Bonne Espérance. Son capitaine espère éternellement trouver le pilote qui le mènerait à l’abri.



En réalité, le passage redouté ne se réduit pas dépasser un point dans l’alignement d’une péninsule. Si l’on tient compte des contraintes météo et de la nature des courants maritimes, « doubler le cap », consiste davantage à rallier Durban à Cape Town, c’est à dire parcourir la côte sud du continent sur une distance d’environ 650 milles.

Pour établir son routage, le capitaine analyse la convergence de  trois difficultés : le manque d’abris, côtes escarpées ou long cordon dunaire n’offrant aucune embouchure, deux courants puissants et contraires, coups de vents fréquents.

On l'aura compris, naviguer dans cette zone, c’est prendre le risque d’inviter Gégé-Chamboule-Tout dans le carré. Mais le plaisancier possède un atout, celui de ne pas avoir de contrainte de temps, ce qui lui donne l’avantage de prendre la mer au moment choisi, évitant ainsi l’essentiel des humeurs sombres et tumultueuses de ces eaux australes.


Maîtriser le routage et se faufiler entre les lucarnes météo

Depuis le départ de Mayotte, les navigations se font entre deux coups de vent de sud/sud ouest. Ce rythme, pris dans le Canal du Mozambique, se prolongera tout au long de la navigation dans le sud du continent.

Alors les équipages, tapis dans leurs cockpits, à l’abri dans une marina ou au fond d’une baie (rare) guettent. Les capitaines surveillent la météo, les mousses veillent à être prêts au départ. Que la cambuse soit pleine !

On guette la fin d’un coup de vent de sud ouest pour prendre le large aussitôt. On espère avoir quelques jours de répit avec des vents portants. Cet été-là, les « fenêtres » météo sont si étroites qu’elles ressemblent à des lucarnes.

Les départs se font de nuit, au petit jour, l’après-midi, prévu ou parfois précipité. La météo vient de changer, on part maintenant ! s’exclame le capitaine, alors que le mousse s’attendait à un départ le lendemain.

Quand le vent de nord/est se maintient à 15/20 nœuds et que le capitaine a touché le courant des Aiguilles, Moetera file, et bat son record entre Durban et East London, affichant fièrement sur son tableau de bord 16,9 nœuds !

En fin de journée, le vent se renforce, et sans prévenir, passe sud/est. A 40 nœuds, grand largue, on navigue à sec de toile et Gégé-Chamboule-Tout se moque du mousse enfoui dans les coussins de la banquette. Cette nuit-là, le capitaine, n’ayant pas touché le fameux courant portant, a pris la décision de revenir vers la côte. Sans courant et au pied des falaises, Moetera, chahuté dans les vagues, filait dans les vagues à 8 nœuds.

Moetera n'a pas affronté les tempêtes monstrueuses de Francis Drake et Bartolomeu Dias, mais passer le cap… ce n’est pas non plus une navigation de lagon.

Samedi 1e février, le vent se lève au travers, Moetera navigue allure bon près. Vers 1h00 du matin, le Cap des Aiguilles est franchi. La houle secoue un peu le mousse, qui en offrande, vide sa petite bassine. Et pourtant, elle n’est pas méchante cette houle, pas de quoi ralentir le catamaran dans sa course, mais elle est secouante ! Sans même tirer un bord, le capitaine met le cap au nord, vers Bonne Espérance. La houle s’allonge, s’adoucit, accueille avec souplesse les étraves du catamaran, berce chaleureusement l’équipage.

Moetera navigue dans l’Atlantique.

Le mousse profite de la navigation en vue de la Montagne de la Table et de la ville qui s’étend sur l’immense baie. Le Nikon crépite. Le capitaine disparaît dans la cale moteur bâbord. Il faut réparer l’avarie survenue face au Cap des Aiguilles. Un démarreur cramé.


Vers une heure du matin, Moetera pointe ses étraves dans la baie de Saldanha.

On l’aura compris, le mousse ne regrettera pas les humeurs imprévues et tempétueuses de l’océan Indien.


Le fou de Chesterfield, le fou au pied rouge, est entré dans le royaume de son cousin, le fou de bassan.




Commentaires

  1. Oh lala ! Quelle joie de te lire ! J’adore , je me régale , je bois tes paroles tellement elles sont enivrantes !
    Mais quand je te lis , je suis tellement avec toi !
    Je vis le mal de mer , la bassine remplie , les odeurs , et le fait que je ne serais jamais grosse en bateau !😂
    Finalement c’est peut être ma solution 😜
    Moi si tranquille dans ma maison, et toi tellement en éveil !
    Tu es incroyable 😻
    J’ai vraiment bcp d’admiration pour vous deux, vous savoir , quand dire , sur l’eau en quasi permanence me ….Donne le mal de mer 🤭
    Mes zouzous , continuez à être très prudents
    J’ai une confiance absolue dans le capitaine et j’aime trop le petit mousse , tellement volontaire mais en même temps si fragile…..
    Qu’il prenne soin de lui et qu’il profite de cette expérience extraordinaire ❤️
    Je vous envoie pleins de bisous mouillés 🤗
    Restez prudents svp ❤️❤️❤️❤️❤️❤️

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  2. Merci mon amie ! Eh oui, nous continuons notre aventure sur l'eau et chaque jour apporte une découverte. Oh non, on ne s'ennuie pas, et tant pis pour le mal de mer, je vais bien finir par le dompter ! Je ne lâcherai pas. Nous naviguons désormais au large de la Namibie, et l'Atlantique Sud n'est pas non plus très calme, mais tellement plus prévisible et régulier !

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