Zanzibar 4 -Dans les arcanes de l'administration tanzanienne
A Stone-town, le capitaine doit procéder à la régularisation du catamaran. Il est des démarches devenues invisibles pour le touriste. La taxe d’aéroport inclue les taxes douanières, il lui suffit de prendre son visa, désormais via internet, la démarche est fluide. Le plaisancier qui parcourt les océans doit procéder lui-même à ces démarches et, selon la culture administrative du pays visité, les situations sont extrêmement diverses.
L’entrée en Tanzanie se fait en deux étapes. Le capitaine avait prévu de procéder aux démarches d’entrée dans le pays à Mtwara, porte d’entrée du sud, et donc habituée aux allées-venues des plaisanciers. Souvenons-nous, une mauvaise tempête avait contraint le capitaine à choisir l’option fuite en inclinant la route vers le nord.
En bref, le cataraman avait loupé l’embranchement ouest vers la première escale.
C’est donc à Dar Es Salaam, après avoir un peu trainé sur la route, le temps de récupérer de cette affreuse tempête, que le capitaine doit se plier aux obligations administratives. Facile pense-t-il, il suffit d’aller en tuck-tuck au Tanzania Ports Authority, Head Quarters, tous les services de douane et d’immigration sont regroupés dans cette grande tour de verre.
Oui, mais
L’aimable hôtesse indique le troisième étage. Le capitaine et son mousse s’y rendent et atterrissent dans un couloir étroit. D’un côté des bureaux, de l’autre une loge d’accueil vitrée. À l’intérieur de la loge, un groupe d’agents feint d’ignorer les nouveaux venus ; le public, attendant déjà depuis un moment, fait clairement signe de patienter. Et comme toujours dans ces situations, chacun guette du coin de l'oeil le premier fauteuil qui se libérera. Dans la cage de verre qui fait office de loge, une petite agitation survient : les deux femmes assises sur un fauteuil devant un écran se lèvent, les deux hommes, restés debout, prennent leur place, quant aux trois autres, ils restent entassés contre les étagères qui servent davantage à stocker la cafetière qu’un éventuel dossier.
Et puis rien.
Le temps passe… le mousse, totalement dépourvu d’une faculté naturelle à disposer d’une patience qu’il juge inutile, finit par poser la question à l’une des dames restée dans la loge. Il faut attendre que les managers soient libres.
Oui, certes.
Au bout d’une heure peut-être, des applaudissements se font entendre à travers la cloison, des hommes et femmes sortent d’un bureau, l’un d’eux porte un trophée et chacun le congratule. La cérémonie de départ ou de promotion terminée, l’activité reprend, un agent reçoit très aimablement le capitaine dans son bureau.
Le mousse ne le sait pas encore, mais ce sera la première étape d’une longue et improbable excursion à travers les arcanes de l’administration tanzanienne. C’est un fait universel et historique, la douane est l’administration qui a poussé dans les extrêmes les procédures et les contrôles administratifs, perception de taxes oblige. Dans le curseur de cette complexité, la Tanzanie semble se positionner dans le groupe de tête.
Le Koah Lantah administratif ne fait que commencer.
Le mousse observe un bureau bien rangé, aucun dossier ne vient perturber l’horizon d’une table en acajou vernis, ordinateur éteint, absence de téléphone. Il s’étonne de la présence d’un grand écran de télévision au mur, probablement posé lors de la grande épidémie, quand la planète dut s’adapter à la pratique de la visio-conférence, songe le mousse. L’agent regarde avec attention le document présenté par le capitaine, la « clearance out » de Mayotte. Le but du jeu est d’obtenir, le lecteur l’aura compris, la « clearance in ». Il invite le capitaine à le suivre et entre dans le bureau du chef-manager. Le chef-manager regarde le document et hoche la tête… il faut monter au 9e étage.
Le chef-manager demande à l’une des dames de la loge d'accompagner les deux mzungus.
Il faut préciser qu’à aucun moment les agents de l’administration tanzanienne ne se sont départis de leur culture d’accueil «karibou-welcome, how are you » et ont systématiquement pris en charge les déplacements entre les bureaux.
Arrivés au 9e, l’hôtesse invite à entrer dans un bureau, plus spacieux que le précédent visité, un homme se tient derrière un gigantesque bureau en acajou, sur lequel sont posés un écran d’ordinateur, éteint, bien entendu, et la pile de quotidiens locaux, à portée de main. Au mur, l’écran de télévision allumé diffuse une série bollywood doublée en swhahili…. Le mousse reste interloqué devant la scène, mais étant admis dans le bureau d’un supérieur, il s’agit de se montrer respectueux tendance obséquieux. Le supérieur, adoptant l’air grave de celui qui sait, prend connaissance du document. Hochement de tête… encore.
Il sait lui de quoi il s’agit. Pas de soucis.
Mais ce n’est pas là.
Il fait appeler un agent.
Le bureau est loin, le chef ordonne à l'agent d’accompagner les mzungus qui les emmène dans sa voiture. Celle-ci prend la direction des docks et se gare devant un bâtiment visiblement ancien, situé sur le bord du quai. Entrer dans un bureau où 3 agents travaillent derrière leurs écrans, sur les bureaux s’entassent les piles de dossiers, les armoires en fer ne ferment plus tant elles sont bourrées de fiches et de formulaires. Le seul point commun trouvé avec les précédents bureaux visités est la présence de l'écran de télévision, qui diffuse cette fois-ci une série policière américaine des années 90. La porte s’ouvre, un agent entre, dépose un document, reçoit un tampon, repart… l'activité ici est réelle. Une femme examine le document. Elle interroge son collègue.
Oui, elle connait le formulaire pas de problème. Elle donne un nouveau formulaire au capitaine.
Mais le compléter ? Le tampon ?
Ah non, il faut donner ce formulaire à notre agent qui viendra à bord, répond la femme souriante et heureuse de rendre service.
Viendra à bord…
Ok et maintenant ? Est-il possible de faire le visa ? Les mzungus remontent dans la voiture qui reprendra sa place dans le parking de la grande tour de verre.
De nouveau le grand bureau du 9e.
Pour les visas, descendre au 3e, droite.
Arrivés à 9h00 dans la grande tour de verre, les mzungus espèrent pouvoir faire la démarche d’immigration avant le déjeuner, mais il est déjà 11h30.
Ne pas se décourager, rejoindre le bureau en question, frapper « karibou-welcome, how are you ». Trois agents déjeunent derrière leurs bureaux encombrés, l’écran de télévision diffuse « Le Prince de Bel-Air », en swahili. Il faut payer le visa en dollars. Monnaie qu’il n’avait pas été possible de se procurer à Mayotte avant le départ. Banque au rez-de-chaussée de la grande tour de verre, transaction, remonter dans le bureau du 3e étage avec le billet de 100 $, passer les tests des empreintes occulaires et digitales, car oui, cela se fait encore dans les bureaux alors que les matelots, venus en avion, s’étaient contentés d’acheter un e-visa sans aucune autre sorte de contrôle…
Et enfin, sortir de la grande tour de verre quatre heures après y être entré, arborant fièrement un visa touristique de trois mois.
L’agent des douanes attendra pour monter à bord, les mzungus sont français, il est 13h, ils ont faim.
Rentrer au yacht-club et se faire reprocher l’attente de deux heures par l’agent envoyé par le troisième bureau,… il est reparti !
Désolation. Nouveau rendez-vous pris pour le lendemain. Le capitaine présente le formulaire obtenu dans le bureau du dock, l’agent le complète, le tamponne et accepte très cordialement le café offert par le mousse. Ouf ! C’est si simple …
Donc, qui veut faire une entrée Dar Es Salaam, prévoit de se procurer le visa dans la grand tour de verre et fait venir un agent des douanes et capitainerie au Yacht club. Simple non ? Mais difficile à lire dans une boule de cristal.
Cet agent, fort aimable, a précisé que le capitaine devra faire une « clearance out-in » à Zanzibar, le territoire bénéficiant d’une forme d’autonomie, cette démarche reste d’actualité.
Entrer dans la zone portuaire
C’est ainsi que le capitaine et son mousse se retrouvent de l’autre côté du miroir, sur le trottoir de la longue Malawi Road à Stone Town. Le taxi les déposent devant la zone portuaire de la cité.
Il faut persuader l’agent de sécurité posté à l’entrée que les mzungus doivent impérativement entrer dans la zone y trouver le bureau des douanes. Non, non, ils ne cherchent pas le guichet du ferry. Ils insistent et finissent par être admis dans l’antre portuaire sous l’oeil ébahi de l’agent de sécurité.
A droite comme à gauche de l’artère qui traverse la zone, des bâtiments de toutes sortes, bureaux, entrepôts, cases, blocs s’entassent dans un capharnaüm. Les camions manoeuvrent, les mzungus se faufilent. L’activité est grouillante, on charge, on décharge, on tamponne le formulaire, on crie, on embauche, on débauche, on transporte, on négocie.
Des voiles pour guides,
Premier bureau, « karibou-welcome… », 2e bureau « Kar… », 3e bureau, deux femmes accueillent les mzungus dont la mine déconfite affiche un découragement certain. Non, ce n’est pas ici, venez. La femme au voile bleu se dirige vers un entrepôt sur le dock. Ça pue la marée basse vaseuse du fond de port. Sur la gauche, des dizaines de boutres de transports sont échoués, les sacs de pommes de terre sont débarqués à dos d’hommes et jetés dans une benne de camion. Sur la droite, l’entrepôt. voile bleu échange avec une collègue. Voile rose. Non, pas ici, voir plus loin là-bas à droite. Les deux voiles invitent les mzungus à les suivre, 4e bureau.
Ah si, c’est bien dans l’entrepôt. Le voile rose et le voile bleu débattent avec un voile vert puis repartent vers l’entrepôt, le mousse et son capitaine sur leurs talons. Entrer, éviter le tas de charbon au milieu, il fait sombre.
Dans l’entrepôt, des bureaux, « Dawnsched » sur la gauche, « Customs » sur la droite. On chauffe ! Les trois voiles se dirigent vers la porte du bureau de gauche, fermée à clef. Le manager est quelque part dans la zone portuaire… « buzzy » évidemment.
Pendant l’attente, les trois voiles sourient, « Jambo ! karibou», les voiles se présentent, Fatima, Fatma et Nushia. Elles ne parlent pas l’anglais, et vous, vous ne parlez pas le Swahili ? Ben… déjà l’anglais n’est pas fameux… alors…
Le boss arrive. « Jambo ! karibou-welcome, how are you ». L’homme prend connaissance du document présenté par le capitaine et l’emporte dans le bureau d’en face, « Customs », qui prendra donc la 5e place dans la série des bureaux visités. Il fait signe au capitaine d’attendre, on s’en occupe. A travers la vitre du bureau, le mousse observe les trois agents assis derrière un bureau, visiblement très affairés, deux autres regardent les trois premiers et la télévision diffuse une série dont l’origine n'a pas été identifiée par le mousse. Le premier agent derrière le bureau prend le document, le lit, le passe au second qui tire un formulaire vierge d’une pile puis semble saisir une information sur son ordinateur, avant de passer l’ancien et le nouveau formulaire au troisième agent qui prend son stylo pour recopier le document. Tampon, sourire, « welcome… », les mzungus ressortent de la zone portuaire après une heure de démarche, fiers de leur score très sensiblement amélioré !
Le soir même, étreintes, gorges serrées, émotion. Les matelots s’envolent. Le catamaran reprendra la mer vers le nord, Pemba.
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