Le mythe Zanzibar - 1

« On raconte qu’un Anglais vint un jour à Genève avec l’intention de visiter le lac ; on le fit monter dans l’une de ces vieilles voitures où l’on s’asseyait de côté comme dans les omnibus : or il advint que, par hasard, notre Anglais fut placé de manière à présenter le dos au lac ; la voiture accomplit paisiblement son voyage circulaire, sans qu’il songeât à se retourner une seule fois, et il revint à Londres, enchanté du lac de Genève »

(J. Verne - 5 semaines en ballon)


coucher de soleil à Chwaka Bay - Zanzibar



Le mzungu a prévu de faire le tour de l’île sur son catamaran. Zanzibar est à une portée de milles nautiques de Dar Es Salaam, quelques heures suffisent pour traverser le bras qui sépare l’île du continent. Il fait encore nuit quand le capitaine libère le catamaran de son mouillage. Il entend le premier appel à la prière dans la grande cité. Les premières minutes de navigation exigent toute la vigilance de l’équipage : éviter les coffres de mouillage, repérer les petites pirogues en pêche et sans lumière. Au loin, les cargos aux mouillages et les boutres en pêche au lamparo dessinent une guirlande lumineuse barrant la route du catamaran. Il faudra négocier un passage, ne pas se laisser éblouir par les puissants projecteurs tout en fouillant la nuit noire pour localiser les pirogues invisibles. Le mousse s’est installé sur le tabouret de l’étrave tribord, à l’opposé du capitaine qui tient la barre principale à bâbord. Il balaie la mer du faisceau de sa torche. L’obstacle est traversé. Un petit déjeuner réconforte l’équipage. Le vent se lève en même temps que le jour. Manoeuvre pour virer au nord, le catamaran s’installe dans une allure grand largue. Oui, ça secoue un peu, mais rien à côté de la tempête essuyée quelques jours plus tôt lors de la traversée Mayotte/Tanzanie. 


Baie de Dar Es Salam - Tanzanie
Pêche en baie de Dar Es Salam

Mayotte Dar Es Salam en mode lessiveuse

Le capitaine a pourtant consulté la météo avant de quitter le lagon de Mayotte : alizés sud, 15/20 noeuds. Bon oui, un peu de vent, mais ça ira disait-il, comptons deux jours et deux nuits de navigation jusqu’à Mtwara, la porte d’entrée Sud de la Tanzanie. A peine sorti du lagon, le catamaran file à 8-10 noeuds dans un océan désordonné, les déferlantes jaillissent bâbord amure, il faut prendre trois ris, réduire le foc. Le lendemain, c’est le coup de frais, 40 noeuds d’ouest dans une houle contraire. Le mode lessiveuse est enclenché. Le mousse se lamente (en silence) sur sa couchette. Dans cette ambiance agitée, prendre une route ouest pour rejoindre Mtwara, exigerait une navigation au près pendant… non, cette option n’est pas envisageable. Le capitaine prend alors la décision de mettre en fuite, direction Dar Es Salaam. Trois nuits et deux jours de lessiveuse… Les vacances ont commencé sportivement !

Premiers regards

Pour l’heure, le catamaran file vers Zanzibar. Le mousse a repris son poste sur le tabouret de l’étrave bâbord. Il guette l’horizon, une silhouette au loin se dessine, l’île.

Naviguer dans les eaux de Zanzibar, quelle chance inouïe ; destination mythique, Zanzibar, un nom qui résonne aussi fort que Lhassa ou Tombouctou. Zanzibar, une destination qui fleure bon le récit d’aventures marines du XIXe siècle.


Le catamaran a contourné l’île par son sud, il remonte la côte au vent. Oui, c’est bien une ligne continue de bâtiments juchés sur les rochers, surplombant des plages de sable blanc qui défile sur bâbord. Plisser les yeux pour ajuster la vue. Resorts, lodges, complexes hôteliers, de toute taille, de toute forme, de tout style, de tous âges. Le premier contact avec l’île déçoit le mousse. Le mythe zanzibarien en prend un coup : le rendez-vous manqué d’Arthur Rimbaud, le point de départ du docteur Fergusson sur son ballon Victoria dans « 5 semaines en ballon » qui traversa l’Afrique d’Est en Ouest, oui, encore Jules Verne… Zanzibar, un carrefour majeur dans l’histoire du commerce d’épices, de thé et d’étoffes entre l’Inde, l’Afrique, l’Arabie et la Chine. La sinistre histoire d’avoir été longtemps un des plus grands marchés aux esclaves n’a pas suffit à ternir sa réputation. Et puis, de grands noms sont attachés à cette île : le chanteur Freddy Mercury et le Prix Nobel Adbulrazak Gurnah -Adieu Zanzibar - à lire, qu’on s’y rende ou non-, sont Zanzibarotes de naissance.


Vitres fumées


Le touriste qui « fait » Zanzibar atterrit à l’aéroport de Stone Town où la navette de l’hôtel l’attend pour l’emmener, lui et ses valises au lodge. Il a acheté un séjour mixte, Zanzibar/safari dans une magnifique réserve sur le continent, les deux piliers du tourisme tanzanien en pleine expansion. Il se déplace en avion, les lignes intérieures ont été dessinées par la volonté nationale du développement touristique. La navette, un neuf places rutilant affichant le logo voyant de l’hôtel, emprunte les pistes cabossées. A-t-il conscience que l’authenticité qu’il perçoit à travers les vitres fumées sera furtive ? Les petites cases -échoppes de fruits, salon de coiffure et quincaillerie- se succèdent sur le bord d’une route chaotique qui n’a pas encore été goudronnée. Le développement du tourisme se fait à marche forcée sur l’île. Il y a un avant et un après COVID.



Sortie d'école

Le touriste suit du regard la jolie scène de la sortie de l’école. A la mi-journée, des grappes d’écoliers en uniforme envahissent les bords des rues. Les garçons portent un bermuda bleu et un polo rayé aux couleurs du pays : bleu, vert, noir, jaune. Les écolières portent une longue jupe de couleur sombre et un hijab blanc. Le touriste qui les observent à travers les vitres fumées de la navette ne sait pas que certaines petites filles ont les cheveux rasés sous le foulard. Il faudrait qu’il s’approche d’elles pour constater l’absence de tresses gonflant le foulard d’une grosse bosse comme c’est le cas dans les pays de tradition swahili. En Tanzanie, la culture maasaï est très répandue et dans ces tribus, les femmes sont rasées dès leur plus jeune âge. Les écolières sont curieuses de voir un mzungu marcher comme elles sur le bord de la route. Alors, elles ralentissent le pas, prennent le temps de l’observer, chuchotent en cachant leur bouche d’une main, pouffent de rire, finalement accélèrent pour dépasser le mzungu, trouvent un prétexte pour s’arrêter et l’observer de près et lui adressent un immense sourire, parce que le Tanzanien est de nature joyeuse et accueillante. Un peu moqueuses, curieuses, très rieuses, elles lancent un « Jambo ! » joyeux. Les ainées tiennent les plus jeunes par la main, traverser la grande rue du village, c’est éviter la moto, la charrette, le bus et les nids de poule inondés.



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