Mozambique 4 - Plongée sur le tombant kafkaïen, se mettre en règle - Partie 2

vedette pilote du port de Beira avec officier du port
Les catamarans ont jeté l’ancre devant le port de commerce de Beira un jeudi matin. Les représentants des autorités sont montés à bord en fin de matinée. Le scénario se déroule normalement. 

officiels du port et de l'immigration à bord du catamaran - port de Beira Mozambique
Discussions à bord. Le fonctionnaire du port peine à comprendre que les catamarans naviguent au gré de la météo, font des escales sur la route. Non ils ne sont pas venus directement de Nacala et sont bien incapables de donner la date et l’heure d’arrivée à Maputo. Mi-novembre probablement. 

Et puis, vous voulez faire quoi à Beira ? Du gasoil ? Un ravitaillement ? Ok. Des procédures administratives ? D’accord. 

Visiter Beira ? …

Ah non, la case dans le logiciel du fonctionnaire des douanes reste introuvable. Non, vraiment, visiter Beira… 

Vous prendrez un agent ? Petit pincement au coeur, aucune envie de trahir Abdul, notre agent de confiance à Nacala, mais comment refuser ? Oui, bien entendu. 6 900 euros pour deux nuits au quai… Le capitaine comprend qu’il y a quiproquo, l’agent en question traite l’affaire comme il le sait, en réglementation pour navire de commerce. Tendre pensée du mousse, Moetera le catamaran a du frémir de fierté un instant à l’idée d’être traité à l’aune d’un cargo.

Il faut recommencer la négociation avec les autorités du port. A distance, Abdul intervient. Rendez-vous est pris pour le lendemain, 14h00, sur le quai de déchargement. 

Il faut reprendre toute l’explication, les représentants sont venus avec leur chef qui porte un béret. Le capitaine ressort son traducteur, reprend les explications en espagnol, en anglais, en gestes. 

Deux bonnes heures d’efforts, de déploiement de patience et de diplomatie, sous un cagnard éprouvant, le quai n’offrant aucun refuge ombragé. 

Oui, pas de problème, nous verrons pour les clearances lundi. Enfin les équipages s’imaginent quittant le quai surchauffé, se dirigeant vers un parc pour les enfants, les adultes perçoivent déjà le pétillement d'une mousse bien fraiche. Ils se voient libres !

Vos passeports ? Ils sont en règle ? Oui, nous voulions faire l’extension aujourd’hui vendredi, mais vu l’heure tardive. C’est fermé le samedi ?

Lundi matin alors ? Bah oui ok.

Les capitaines auraient préféré partir dimanche, descendre vers le sud, trouver un abri pour laisser passer un énième coup de vent.
La voile, le vent, les préoccupations des blancs sur leurs bateaux blancs… le chef à béret s’en fiche comme de la guigne. 

Mais attendez, un fonctionnaire de l’immigration va venir. Il doit contrôler. Contrôler quoi ? De quoi il se mêle le chef à béret ? Il est dans les affaires maritimes lui, pas dans la police. Les passeports sont en règle, les visas n’expirent que dans une semaine.

Une heure plus tard… même décor, mêmes personnages, la fatigue s’accumule. Les jeunes matelots du bateau ami sont patients, ils cherchent à s’occuper, ils ne réclament rien. 

Un gars de l’immigration finit par arriver. On recommence les explications. Il s’empare des passeports. Le chef au béret décrète qu’il faut payer une taxe pour visiter la ville. Face à ces étrangers, l’immigration est bien obligée de jouer la solidarité nationale. Dix dollars par personne. 

Épuisés, à bout de patience, les équipages seraient prêts à baisser la garde.
On n’a pas de dollars mais des euros. Et un reçu ? Ce serait possible d’en avoir un ? Stratégie de résistance, éviter l’affrontement coûte que coûte.

L’immigration renonce et souhaite un bon séjour aux étrangers.

Lundi 8 heures. 

Les annexes tentent d’accoster. Le port est à sec, les pélicans pataugent dans une vase huileuse. Les seuls points d’accostage sont les pontons des vedettes pilotes. À marée basse, les annexe se retrouvent dans les soutènements du quai. Les premières marches de l’escalier sont recouvertes d’une épaisse couche de boue visqueuse, les jeunes matelots y enfoncent courageusement leurs pieds sans rechigner. Au retour, la marée sera haute, les capitaines devront s’immerger dans l’eau polluée pour dégager les annexes de cet endroit. 

Convaincus d’une issue favorable à leur mission, les esprits tournés vers la suite de l’aventure, les équipages se dirigent vers le bâtiment des Affaires Maritimes. Le chef à béret les reçoit. Ah mais non, faut commencer par l’immigration. 

Agaçant le type.
Les équipages esquivent, pas question de s’opposer frontalement à une lubie sortie du béret du chef.

Direcçao provincial de migração de Sofala. 8h30

Les équipages sont priés de rester à l’extérieur. Shorts non admis, même pour les enfants. Au Mozambique, on respecte un savoir-vivre disparu ailleurs, on se découvre la tête et on couvre les jambes pour entrer dans une administration. Le mousse enfile un pantalon trouvé dans une échoppe et rejoint sa consoeur et amie à l’intérieur. 

Toute la matinée, les mousses seront trimballés d’un bureau à l’autre, tous plus lugubres les uns et que les autres. Sur les bureaux, quelques papiers, un écran d’ordinateur. Une imprimante dans un bureau sur deux.

Le premier bureau est occupé par un grand gars, de la famille du Coq-arrogant. Depuis une heure, c’est long une heure, les mousses sont assis, et rien ne se passe. De toute manière, ils ne comprennent pas le portugais, avance Coq-arrogant à un collègue, venu se faire un café dans le bureau. Mais si, je comprends un peu le portugais glisse la consoeur et amie, et l’espagnol et l’anglais aussi. Et toc. Coq-arrogant, ignore les deux étrangères sagement assises sur leurs chaises, et rivé sur son téléphone, faisant défiler de stupides vidéos d’un réseau connu mondialement. 

Pour obtenir l’extension du visa, il faut présenter au directeur du service provincial de l’immigration de Sofala un courrier dont le modèle est affiché dans la salle d’accueil. On peut le rédiger sur une feuille, suggère un mousse. Feuille tendue. Les mousses recopient le modèle. 

Coq-arrogant daigne jeter un regard sur le courrier manuscrit. Non, il faut que ce soit fait sur l’ordinateur. Coq-arrogant appelle un subordonné. Les mousses se retrouvent dans un deuxième bureau. Le gars s’installe devant son poste, se concentre, s’applique. S’apprête à imprimer. Mais la petite imprimante installée à côté de son écran résiste. Bourrage. Décoincée. Elle vomit des documents qui ne ressemblent en rien au courrier. T’as vu, elle fume ! Qui ? L’imprimante, glisse la consoeur amie. Le mousse n’a pas remarqué. Depuis dix minutes, il a le regard plongé dans la pièce voisine. Des milliers de documents imprimés, ficelés en paquets, entassés dans des équilibres précaires sur des étagères. Très prochainement, la demande de prolongation du mousse ira rejoindre ce cimetière de l’administration de l’immigration. Découragé par l’imprimante qui refuse obstinément de sortir le courrier, le gars quitte la pièce et revient une demie heure plus tard, les 6 passeports et les courriers en main. Suivez-moi. 

Coup d’oeil vainqueur échangé entre les mousses. Lueur au bout du tunnel. 

Ces dossiers sont incomplets. Coq-arrogant, s’empare des passeports et des courriers, se lève, et le voici dans le parking, les mousses sur ses talons. Hors de question de quitter d'une semelle les passeports ! Coq-arrogant demande à un stagiaire d’emmener les étrangères à l’extérieur faire les copies des passeports.
Ah le petit gagnant, le plaisir du frustré, s’en prendre à plus faible que soit et prendre pour une victoire ce qui n’est que vexation. Mais les mousses sont coincés. Il faut faire les copies. 

Les voici dans le marché municipal. Passeports et courriers en main, les mousses louvoient entre les vendeuses de mangues assises sur leurs nattes de feuille de bananier, un petit vendeur de sacs de plastiques les suit -deux clientes, c’est sûr !- baissent la tête pour passer sous une bâche, évitent de justesse un gars qui porte sur la tête une gigantesque balle de salades et se retrouvent dans une échoppe de photocopies. Une photocopieuse-imprimante, la même que celle installée par le capitaine à bord, est posée sur une planche.

Retour chez Coq-arrogant. Porte close. Bien entendu, l’heure de midi. Coq-arrogant, doté d’une conscience professionnelle digne d'un petit pois et trop heureux de se moquer des étrangères, a filé se sustenter.

Troisième bureau, les mousses se retrouvent chez l’adjointe du directeur. La dame prend en charge les dossiers, sort des registres. On sent que ça va avancer cette fois-ci ! 

Oui, mais non… les courriers des mineurs doivent être faits au nom de la mère. 

Le mousse couvre d’un regard d’encouragement la mère en question, livide, hésitant entre désespoir et colère. 

Le gars à la photocopieuse qui fume est sermonné par la dame, il doit recommencer !

Une heure plus tard…

Les mousses se dirigent vers le comptoir principal. On tient le bon bout. La dame adjointe tient dans ses mains les passeports, leurs copies et les courriers de demandes signés du directeur.

Y a plus qu’à ! Attendre encore. Il faut rédiger les reçus avec tampons de prolongations. Puis s’acquitter de 650 méticals par tête de pipe. 

Après 4 heures de lutte, les mousses quittent le bâtiment de la Direcçao provincial de migração de Sofala, brandissant six extensions de visas, fiers de leur exploit !

bâtiment de la direction régionale de l'immigration à Beira région de Sofala au Mozambique
Pendant ce temps, les capitaines et les jeunes matelots ont finalement rejoint le chef au béret dans son bureau des Affaires Maritimes. Celui-ci n’a nullement demandé les visas exigés quelques heures plus tôt.

Tractations, négociations. Le jeune subordonné a pourtant préparé les documents de clearance, mais le chef au béret ne délivre pas si facilement les documents, c’est lui l’autorité qu’il exerce comme un pouvoir.

Et puis, il faut payer une taxe de passage dans le chenal… 15 000, annonce le chef au béret.

Abdul.

3000 ? Pour l’effort, le temps, le papier et l’encre… va pour 3000. Le passage dans le chenal est finalement devenu gratuit.

Documents rédigés. On prend tout ? Normalement une partie du formulaire est pour votre administration, insiste le capitaine. Ah bon ? Ok, on va en garder une partie alors. 

Où se situe l’aventure ? Dans une séquence de renouvellement de visa et de clearance ou sur un catamaran qui file vers le sud pour trouver un abri avant l’arrivée d’un gros coup de vent qui monte dans le canal du Mozambique ?

A minuit, dans la clarté d’une lune d’équinoxe, les catamarans jettent l’ancre à l’abri de l’île Chiloane. Ils viennent de courir 50 milles depuis Beira, les capitaines sont satisfaits de leurs performances. Ça ballotait quand même. 




Commentaires

  1. Bravo pour votre patience ! Il faut avoir les nerfs solides .... 😉

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    1. C'est inclus dans le pack découverte du pays ! Zanzibar et Dar Es Salam, autre ambiance, mais aussi beaucoup de temps passé dans les bureaux

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  2. merci pour ce temoignage! Je n’avais pas imaginé cette partie un peu moins idyllique de l’aventure.

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    1. C'est un plaisir pour moi de partager notre expérience et nos découvertes. Certes, cette chronique a pris un ton de billet d'humeur. Si vous avez le temps, allez faire un tour du côté des chroniques sur la Tanzanie. L'une d'elles évoque aussi les formalités. Dans une autre ambiance ! https://laplumedufou.blogspot.com/2024/10/4-zanzibar-dans-les-arcanes-de.html

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  3. L'Afrique c'est pas simple, mais avec de la patience, de l'humilité et beaucoup de négociations, on y arrive! Merci de partager cette aventure.

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    1. C'est exactement ça, vous connaissez bien. Patience, humilité, et ne pas compter son temps !

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