Namibie 1 - atterrissage sportif à Lüderitz
Quitter l’Afrique du Sud et rejoindre un village de Bavière – Lüderitz – Namibie
Dans la circumnavigation est/ouest, et une fois le cap de Bonne Espérance doublé, la grande majorité des voiliers trace une route NO pour rallier l’île de Sainte Hélène, escale incontournable de la transatlantique sud. L’équipage a prévu de lézarder le long des côtes de Namibie. Cap au nord, Lüderitz est la première escale. Sur cette partie de la côte ouest de l’Afrique et en cette saison estivale, les vents du sud sont réguliers.
Le capitaine a pris en compte ces paramètres pour établir son routage Veldriff/Lüderitz, 350 milles (700 km). Une brise de 15/20 nœuds portera Moetera à compter du deuxième jour. L’atterrissage est prévu mercredi dans l’après-midi, trois jours de navigation.
Fastoche. Simple.
Tao, on se revoit dans trois jours. Ciao.
Jeudi, 4e jour 21h00. Un coffre vient d’être pris dans le petit port de pêche de Lüderitz, Moetera est enfin au mouillage. Ébouriffé, engourdi par les rafales d’un froid saisissant, l’équipage s’apprête à dévorer un poulet/frites/maison. Le dîner est mérité. Les trois dernières heures ont été sportives, contrastant avec les quatre jours de navigation qui furent très calmes.
Parce que le vent s’est désisté. Il a loupé le rendez-vous. Il s’est dégonflé. Fuyard le couard. Alors Moetera s’est traîné, le capitaine a négocié entre spi et génois, avec, oui, on le reconnait parfois un peu de moteur. Le temps mou assoupit l’équipage qui garde un seul œil de veille sur la route. Lectures, films, siestes. Le temps s’étire, phénomène bien connu des équipages englués dans la pétole. Moetera se balance lentement, à 3/4 nœuds. On fait passer le temps. On s’assoie sur le tabouret de barre, scruter l’horizon, guetter le vol d’un fou du cap, s’amuser à suivre les moustaches d’une otarie chassant après la ligne de pêche tendue à l’arrière, espérer, secrètement, croiser la route d’un albatros.
Le matin du 3e jour, il reste 80 milles à parcourir. Atterrissage retardé de 24h00. Pas de quoi en faire une boulette, naviguer à la voile, c’est accepter l’imprévu.
On le sait pourtant !
On le sait bien, quand on se renseigne un peu. Lüderitz, est un petit port balayé par des vents puissants, planté au bout d’une piste traversant le désert du Namib. Pendant la saison de l’été austral, les vents de SE sont aussi réguliers qu’une horloge : levés à midi, s’épuisant en fin de nuit, offrant un peu de répit à la première partie de la journée.
On sait, aussi, qu’il faut se méfier du brouillard, capable d’absorber la côte en un rien de temps. C’est d’ailleurs la caractéristique de cet écosystème qui en fait l’unicité. Quand la masse d’air chaud lutte contre le courant du benguela remontant de l’Antarctique, une brume dense recouvre la côte désertique. Au nord, le littoral a été baptisé la « côte des squelettes », référence morbide aux épaves de navires échoués sur les longues plages.
On sait, enfin, que l’entrée dans le petit port exige de contourner un cap, de traverser l’embouchure d’une première baie, avant d’embouquer une seconde plus étroite, toutes deux dans un axe parallèle à la côte et donc les plaçant aux vents de sud.
Sous spi,
Le quatrième jour, le capitaine profite d’une brise se réveillant un brin en début d’après midi, pour lancer le spi. Depuis la veille, il se bat avec les moteurs. Le tribord déplore une fuite de self-drive, le bâbord cahote, tousse, crache de travers dans son filtre et s’étouffe. Rien de grave, mais un peu contraignant. Alors le capitaine s’engouffre à nouveau dans les cales pendant que le mousse profite de ces dernières heures au portant sous le grand spi rouge. Navigation parfaite.
En fin d’après midi, cap est mis à l’est, en direction du petit port de pêche, l’escale attendue.
Concentré, le capitaine étudie la carte. Il s’agit de virer à 180°, traverser un premier chenal assez large et probablement au près, étant donné la direction du vent dominant. De surcroît, l’atterrissage est maintenant prévu de nuit.
T’as vu ? On voit la côte. Le mousse scrute et ne cache pas sa déception devant cet horizon au relief bistre et aux contours flous. En cette fin d’après-midi, la brume envahit la côte minérale. Le mousse espère que le brouillard ne bouchera pas l’horizon vers le port.
Il se dit aussi qu’il est temps d’envisager un menu pour le dîner de l’atterrissage. On aime se faire plaisir. Inventaire mental du frigo.
Le spi rouge claque. 18/20 nœuds.
Le capitaine se précipite à l’avant, affaler en urgence. Le spi est emporté par les rafales, le capitaine se bat avec l’écoute. Tirer de toutes ses forces, peser de tout son poids. La voile rouge gifle le marin. Les lunettes valdinguent… ne pas manœuvrer à l’avant avec des lunettes.
Un poulet-frites ?
Le spi est descendu dans la baille à voile. Voilà qui est fait. Le capitaine reprend la barre.
Rafales à 30 nœuds, là, on ne sourit plus, on enclenche le niveau supérieur dans la vigilance.
La lumière du jour déclinant renforce les contrastes, le mousse distingue l’écume blanche qui vient battre la côte rocheuse. Dans sud, le phare de Diaz et à l’est, une cardinale, avertissent le marin. Les moutons blancs n’ont pas échappés à la vigilance du capitaine. Les récifs tendent leurs éperons, la côte est bien défendue.
La houle s’agite.
La cardinale doublée, cap est mis au SE en direction de la première entrée. La houle de travers surprend Moetera... Gégé-Chamboule-tout débarque dans le carré. Il ne manquait plus que lui !
C’est parti pour le poulet/frites. Éplucher les patates, s’occuper l’esprit.
Les rafales ne lâchent rien en force, la houle poursuit son travail de sape. Le mousse s’accroche à son évier, une patate dans la main, le couteau dans l’autre. Un dîner sera servi, quoiqu’il arrive. Chasser la pensée d’une possible panne de moteur. Le capitaine a pris toutes les précautions, parce que ces derniers jours, les moteurs étaient d’une humeur capricieuse.
Préparer une marinade aux épices et y rouler les cuisses de poulet.
Le capitaine contacte la capitainerie à la VHF. Épeler le nom du voilier, celui du skipper, l’immatriculation, Mike, Oscar, Echo… ce n’est pas le moment d’avoir une hésitation. L’usage de l’alphabet international se perd, les échanges d’informations avec les capitaineries se font désormais par mail.
Retour à la barre. Le mousse prend la relève
à la VHF. Oui, on a bien compris, il faut passer entre les feux
verts et rouge. Bien entendu… et merci pour la bienveillance. Oui,
le prénom du capitaine ? Papa-Alpha-Sierra…. Mais pourquoi
son prénom ? Il veut l’inviter à boire verre ?
Moetera
bascule sur une vague, se cramponner à la table à carte.
Les feux de la première entrée ont été doublés il y a plus d’une heure. Houle et vent de travers, ça siffle, ça balance, ça ne se calme pas dans la nuit. Les lumières du port brouillent la vue, il faut distinguer les feux qui intéressent la navigation des lumières de la ville.
Les patates sont épluchées, lavées, séchées, découpées en lanières, prêtes à frire.
Cette arrivée n’en finit pas…
Moetera avance contre le vent. Maintenant, on distingue clairement les feux des chalutiers amarrés au quai sur tribord, les feux de mouillage des quelques voiliers mouillés dans le petit port de plaisance et les lumières des entrepôts.
A la VHF, le capitaine du port a indiqué : une bouée grise. À l’avant, la gaffe dans une main, la lampe torche dans l’autre, prêt à récupérer le coffre, le mousse s’interroge. Saura-t-il repérer une bouée grise dans la nuit ?
Une bouée rouge fera l’affaire, la première repérée.
Les frites sont en cuisson, la bière fraîche est servie.
Commentaires
Enregistrer un commentaire