Madagascar 3 - Doria - portrait
« Bonjour ! Comment ça va ? »
La voix est claire, chantante. Le ton est sans équivoque, il intime au mousse d’aller voir qui frappe ainsi à la porte. Il écarte le paréo tendu à l’arrière du cockpit et qui le protège du soleil matinal déjà brûlant. Il découvre quatre enfants dans une pirogue.
Une toute petite pirogue, étroite, à balancier. C’est la petite pirogue du père, pour la pêche. Les enfants l’ont empruntée et s’y entassent. La figure de proue est une petite tête ronde, une bouche ronde, des yeux ronds, habillée dans une robe à smocks jaune-poussin. Elle se blottit dans les jambes de la jeune fille. Port altier, coupe courte, front haut, souriante et regard décidé. C’est elle qui commande. C’est elle qui a lancé « Bonjour, comment ça va ? ». Dans son dos se tient une petite fille, son écope à la main. Assis à l’arrière, un petit garçon, torse nu et short bleu, manie la pagaie.
Ce jeune équipage est souriant.
La jeune fille reprend : « C’est à vous le bateau ? »
L’unique voilier mouillant dans la baie. Deux personnes à bord. Même pas une pirogue dans l’horizon de la baie. La question parait incongrue, idiote même, le mousse pourrait l’interpréter ainsi. Mais l’intention de la jeune fille n’est pas de savoir si le bateau « est à vous ». Son intention réside dans un objectif bien plus important. Stratégique. Engager une conversation en français avec le bateau français, parce qu’elle a bien regardé, elle a vu le pavillon tricolore flottant à l’arrière. Et Doria, c’est son prénom, elle fréquente une école française.
Imaginez l’aubaine, quand ce matin-là, la jeune fille a vu que le voilier, arrivé la veille, est toujours à l’arrêt devant sa maison. D’autres maisons sur ce rivage, il n’y en a pas. Pour Doria, c’est certain, ce voilier français, c’est son cadeau de Noël. Parce qu’on est le 24 décembre. Ce voilier, c'est la promesse d’une rencontre, celle de rompre le quotidien des vacances scolaires et d’avoir une aventure à raconter aux copines quand l’école reprendra.
Alors Doria expédie les tâches matinales, balayer devant la case, s’occuper des petits, une toilette rapide dans la bassine commune, les habiller, cueillir des mangues et trois papayes en guise de petit déjeuner. Le soleil monte déjà haut. Doria tend le cou vers la plage pour vérifier. Oui le père est rentré de la pêche, il a rejoint les oncles et le grand-père sur la grève, ils ramassent des galets, pour le chantier de la maison. La pirogue du père est libre.
Elle embauche Doriana et Doriano, « Venez, on va voir le bateau blanc ». Elle prend le bébé Faouzia dans ses bras, elle lui a enfilé la jolie petite robe jaune-poussin. Une robe de fête.
Le petit équipage embarque dans la pirogue, Doriano s’empare de la pagaie. Et les voici devant la dame du voilier.
Le mousse invite la petite troupe à monter à bord. Les enfants s’installent autour de la table du cockpit. Visages heureux, rayonnants. Ils ont gagné ! Ils sont dans le grand voilier blanc. Ils acceptent les jus de fruits et les bonbons. Mais aucun d’eux n’aurait l’idée d’entrer dans le carré. Non non, ils sont bien élevés, ils restent autour de la table. Doria aura l’occasion d’entrer dans le flotteur du mousse, lorsqu’elle reviendra seule, dans l’après-midi. Le mousse préparera avec elle un sac, pour la grand-mère et la mère. Il lui offrira une veste kimono, celui qu’il avait confectionné dans le joli tissu aux fleurs de tiaré du pacifique.
Joyeux Noël Doria.
Dans l’instant, la conversation s’engage autour de la table. Oui, on va à l’école française. Elle est plus loin dans la baie, à plusieurs kilomètres, mais Doria est incapable d’estimer la distance. Elle est suffisamment loin pour que les enfants soient obligés de quitter la maison la semaine entière. Le trajet se fait en pirogue. Ils sont 7 cousins et cousines. Doriana la petite sœur compte sur ses doigts en égrenant les prénoms de la fratrie : « Marcellina, Marcellino, Angelina, Angelino, et nous trois, Doria, Doriana et Doriano. Michelino, l’ainé, il est étudiant à Tana. Michelina, elle reste à la maison avec les mères et la grand-mère ».
Ça ne s’invente pas.
Doria, elle voudrait aussi aller à Tana, faire des études comme Michelino. Ou mieux encore, elle rêve d’aller en France, elle voudrait devenir institutrice. À Mayotte, elle pourrait, affirme-t-elle.
Doria ne réclame rien, ses rêves parlent tout haut. Doria est ambitieuse. Le mousse l’écoute, admiratif face à une telle volonté.
Maintenant, Doria et les enfants accourent sur la plage pour accueillir le capitaine et son mousse. L’équipage a répondu à l’invitation de la jeune fille. Les cases sont juchées sur le talus. Pour y accéder, il faut grimper sur des rochers, les racines du manguier font office de marches d’escalier, et éviter quelques obstacles habituels dans ce genre d’habitat, les poules qui courent et les seaux et autres ustensiles abandonnés sur le sentier, les tas d’ordures qui attendent d’être évacués.
Sao, la grand-mère invite le mousse à la rejoindre. Le mousse considère l'échelle, la case est sur pilotis. Et voici le mousse installé sur l’une des deux chaises de plastique blanc dans la varangue surplombant le chantier de la maison de pierre.
Sao parle le français. Elle présente ses filles, Bienvenue et Sandrolina, les mamans de la petite troupe d’enfants. Chacune tient un bébé sur les genoux. Sao est plus jeune que le mousse et elle est grand-mère de multiples fois, ce qui, dans cette région du monde est absolument banal. Fine, musclée, short blanc sur maillot de bain noir. L'exercice de la pirogue et les travaux dans les champs entretiennent le corps autant qu’ils l’usent précocement. Le mousse retrouve chez la grand-mère, le regard franc et volontaire de Doria. Deux maîtresses femmes.
Sao s’affaire, glisse sous la soupente. Au fond, dans la pénombre, une gamelle de riz cuit sur un foyer constitué de trois pierres et de charbons de bois. La gamelle cuit en permanence et chacun vient s’y servir à tout moment de la journée.
À l’autre extrémité de la varangue, derrière une cloison de bambou, le mousse découvre une petite pièce meublée d’un petit bureau et d’un lit. Un joli désordre de vêtements et de vaisselle envahit la chambre. Des photos sont punaisées à la cloison. Vieillies, jaunies, racornies. Des photos d’écoliers. Les enfants de Sao.
L’équipage décline l’invitation au réveillon faite par Sao. Le capitaine a prévu d’appareiller aux aurores. L’orage qui a éclaté en soirée aura balayé toute frustration chez le mousse.
Mais on se promet de se revoir. Oui oui, le catamaran repassera par là au retour. Et de quoi auriez-vous besoin pour le chantier de la maison ? Des pommelles ?
Plus tard, le capitaine fera faire à Roméo, l’agent local qui prend soin de l’équipage, le tour de toutes les quincailleries d’Helleville en quête de pommelles.
Deux semaines plus tard, sur la route du retour, le voilier mouille à nouveau l’ancre devant la case de Sao. Les travaux de la maison en pierre ont bien avancé. Le sol en galets est terminé. Sao a disposé ses deux uniques chaises en plastiques au centre de la maison. En l’honneur du capitaine et de son mousse. Les pommelles sont accueillies avec le soulagement du maître d’œuvre qui pourra avancer sérieusement son chantier. Les fournitures d'écoles acquises en ville par le mousse font la joie des enfants en cette veille de rentrée scolaire.
Quelques bières sont bues entre hommes. Sao est fière de montrer sa maison de pierre bientôt terminée. Embrassades, le catamaran remonte l’ancre.
Michelino, l’étudiant de Tana, enverra un message de remerciements au capitaine. Notre maison est la vôtre.
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