Madagascar 2 - Victor - portrait

plage de sable blanc dans une baie du Nord Ouest de Madagascar - catamaran

Baie de Moramba - 14 octobre 2022


« Bonjour, je m’appelle Victor, je suis né en 1944, j’ai 78 ans et je vis dans la maison sur la plage. Venez visiter ma maison. »

La veille de la rencontre, le mousse a retiré la housse de l’annexe en vue de lui refaire une beauté bien méritée. Elle a subi les déferlantes de l’océan Indien, un n-ième déménagement entre le bord et le quai, des chargements de toute sorte et une cohabitation agitée à Dzaoudzi-Mayotte. L’unique ponton dédié aux annexes est trop étroit. Dans les poussières de l’île, barques et annexes s’y entassent, se frôlent, se frottent, il faut traverser celle du voisin pour atteindre la sienne. La housse méritait bien un petit soin esthétique. Il s’agit maintenant de la réinstaller.

L’équipage a choisi une jolie plage bordée de filaos pour glisser l’annexe sur le sable et procéder aux derniers ajustements.

Les makis s’amusent de pirouettes en pirouettes sur les branches de ficus. Ils ont un joli pelage ces makis, dos blanc et ventre ocre-rouge. 


L’équipage s'affaire autour des boudins de la petite embarcation quand le mousse sent une présence sur la plage. Une fine silhouette s’avance du pas lent de ce corps qui cherche son équilibre quand les pieds s’enfoncent dans le sable. La silhouette prend son temps. Observe. C’est elle qui entre en contact.

Vêtu d’un vieux polo, les hanches ceinturées d’un paréo, le regard est franc, le sourire élégant. Les présentations sont faites. Victor invite l’équipage à visiter sa maison. 

Quelle maison ? Le mousse est intrigué, il ne voit qu’un couvert de niaoulis et de filaos sur la plage. Victor pointe de sa main les sous-bois. En regardant bien, oui, vraiment en fouillant du regard la verdure, il distingue une palissade de ficus, une case.

Le capitaine retourne au catamaran récupérer du fil de pêche. On ne vient pas chez les gens les mains vides. Victor pêche un peu, même s’il n’a plus de pirogue. 

Victor vit seul dans sa maison, il est venu dans cet endroit après le décès de sa femme, il a trois enfants qui vivent à Antananarivo. Il garde la forêt, comme Angelo, rencontré la veille sur une plage voisine et qui a aussi fait visiter sa maison. 

Victor a été « soldat de la France » ; ses yeux accompagnent d’un éclair de fierté ces mots. Il était soldat quand il y a eu les « ennuis » en Algérie.  Une brève complicité se faufile quand le capitaine lui confie être né en Algérie. Son père était aussi soldat. D’une petite sacoche à bandoulière qu’il range précieusement dans sa maison, Victor sort une photo protégée dans une pochette plastique. La photo est en noir et blanc, particulièrement bien conservée. Un jeune couple se tient debout devant la porte d’une maison. Lui, habillé de blanc, la calotte sur les cheveux ; elle, une longue jupe sombre et une chemise large et clair. Ils sont proches, mais ne se touchent pas. Ils regardent l’objectif avec assurance, mais sans prétention. Elle et lui, le jour de leur mariage. 

Le mousse visite du regard la case. C’est petit une case, un regard suffit à en faire le tour. Deux petites pièces, le toit pointu se termine en appentis abritant de la pluie et du soleil la cuisine, une marmite de fonte noire posée sur un foyer, deux bidons d’eau. Il arrive que les makis viennent y voler le riz.

Dans la plus grande pièce, un matelas couvert d’une courtepointe repose sur un cadre de bois élevé sur quatre piquets. Sobre, simple, efficace. Hors sol, c’est mieux pour éviter les bestioles qui s’inviteraient dans la case. Le mousse est admiratif devant la propreté de l’endroit, le jardin est ratissé, rien ne traine sous l’appentis et dans la maison, Victor est soigneux. Il voudrait garder le contact ; il sort de sa sacoche un petit carnet et un stylo qu’il  tend au mousse. Il dicte son numéro. Le mousse repart avec le numéro de téléphone de Victor. Car Victor a un téléphone, celui que le gouvernement lui confie. Il a pour mission de surveiller l’endroit. Prévenir d’éventuels incendies.

Belle rencontre, belle émotion.


20 Décembre 2023


L’annexe du catamaran longe les petites plages de la baie. Tu crois que c’est celle-ci ? Approche voir ! Nan… pas celle-là non plus.

Elles se ressemblent les petites plages de la baie. Il ne faut pas compter sur le repérage d’une case en signe distinctif, celle de Victor est enfouie dans le sous-bois de niaoulis.

La veille,  catamaran a jeté l’ancre dans la baie de Moramba, et l’équipage espère revoir Victor. 

La troisième tentative de débarquement est la bonne. L’équipage s’enfonce dans le sous-bois. Étrange, il y a bien une case, mais ce n’est pas celle que garde en souvenir le mousse.
Il y a un bazar du tonnerre ici ! De la vaisselle sale traine par terre, du linge sale ou propre (?) jeté sur un fil. Deux jeunes se vautrent sur le lit défait de Victor. Ils osent ! Le mousse en serait presque outré.

Finalement oui, c’est bien la case de Victor. Envahie par une bande de jeunes. Les petits enfants de Victor sont venus passer leurs vacances scolaires chez le grand-père. Ils ont pris possession de la maison. Le petit havre de paix si bien ordonné n’est plus qu’un souvenir. Adolescents, une nation universelle qui se reconnait dans le désordre et le laisser-aller, soupire le mousse…

La troupe s’avère bien entendu sympathique. On sort le Polaroïd, photo de groupe. Rires d’ados moqueurs.

Jeunes malgaches dans la brousse, regardant une photo

Victor est à la pêche. Aucune idée de l’heure de son retour. C’est bien le cadet des soucis des ados en vacances, l’heure du retour du grand-père.

Les jeunes emmènent le mousse et son appareil photo dans le bois de ficus. Il suffit de lever le nez. Les jeunes makis sautent d’une branche à l’autre. Les plus vieux font la sieste allongés sur une branche, les membres ballants. De peluches vivantes ces lémuriens. Joli moment.

maki, lémurien malgache dans un arbre

Plus tard, Victor rejoindra le catamaran pirogue, accompagné de son fils aîné. L’équipage est heureux de le retrouver. 

Victor voudrait une nouvelle pirogue. Mais il n’a pas la monnaie. Le capitaine comprend que Victor est envoyé par son fils pour réclamer une somme conséquente qui permettrait d’acquérir une nouvelle pirogue.  Victor repartira avec la moitié d’une ancienne grand-voile. De quoi échanger contre une pirogue neuve. Le capitaine lui offre des leurres. 

Cette fois-ci, on se dit adieu. L’équipage sait qu’il ne reviendra plus dans cette baie. 


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