La transat' 1e partie Walvis Bay - Sainte-Hélène


O
n s’en fait tout un plat, un défi à relever, une montagne infranchissable, un acte d’héroïsme. On voudrait déjà être arrivé. On la voudrait derrière nous, un souvenir. Quelques photos, un sujet de conversation dans un dîner avec des terriens.

Point de vue d’un mousse qui navigue pour voyager et non pour… naviguer.

La trans-Indienne (Coco’s Keeling/Seychelles - 2500 milles) a laissé le goût amer d’une vingtaine de jours de navigation secoués par une météo capricieuse et tempétueuse. Moetera, malmené dans une houle hachée dévalait des murs d’eau. La traversée se déroulait en juillet, ce n’est pas la meilleure saison. De surcroît sans liaison internet, le téléphone dédié à cet effet ayant lâché à la dernière escale. Une traversée à l’aveugle, sans météo. À l’ancienne quoi. C’était en juillet 2022.

Mai 2025, il s’agit de parcourir 3500 milles ralliant Walvis Bay, dernière escale en Namibie, à Rio de Janeiro. Quand l’Afrique est laissée à 2000 km derrière soi et qu’il reste à parcourir, dans ce désert d’eau salée, un peu plus de 4000 km avant d’apercevoir la silhouette des côtes brésiliennes, il faut admettre que du point de vue d’un voilier de 12 mètres, cela n’a rien de banal. D’autant qu’une transocéanique en voilier se fait à l’allure d’une bicyclette (6/8 nœuds).

La transatlantique ? C’est facile clament les marins, les vrais, pas les voyageurs embarqués sur un voilier. Tu montes sur le tapis roulant des vents réguliers SE/NO de l’anticyclone de Sainte Hélène. Une balade vent arrière ou grand largue, au pire.
En bonus, une escale de choix s’offre aux voiliers ayant déjà parcouru un tiers du trajet, l’île de Sainte Hélène.

Des dizaines de voiliers traversent chaque année l’océan Atlantique, de Cape Town au Brésil et souvent sans escale. Des plus petits, des plus grands, des plus vieux, des moins préparés, des tous neufs sortis d’un chantier sud-africain. En solitaire, en couple, en famille, en équipage d’amis, ou constitué à la dernière minute sur un ponton d’une marina sud-africaine. Des convois australiens, des régates internationales de croiseurs hauturiers, des courses en équipage. Des canadiens, des américains, des brésiliens, des allemands, des britanniques, des français, des néerlandais, des australiens et encore des néo-zélandais, des belges, des finlandais. Traverser l’Atlantique à la voile est une affaire internationale. Certains l’ont déjà fait plusieurs fois, d’autres préféreront embarquer à bord un skipper professionnel. Tout est possible.

Ce n’est pas banal effectivement, ce n’est pas un exploit, mais cela reste un défi personnel à relever, et c’est bien ce que recherchent les marins qui s’engagent dans ces traversées.

Être prêt pour le départ

Quand se décide le départ ? Parlons de ce départ qui n’est pas imposé par une urgence ou des contraintes extérieures à la navigation (être attendu sur son lieu de travail, récupérer les enfants chez mamie…).

Quand le capitaine le décidera, c’est une évidence.
Quand la météo sera favorable, bien entendu ! Inutile d’aller se faire secouer si on a le luxe d’avoir le temps d’attendre une bonne fenêtre météo, -ce qui n’était pas la cas pour la trans-indienne, il y avait une obligation de date à respecter-.
Quand le bateau est prêt. Mais le sera-t-il un jour ?
Quand la maintenance préventive est satisfaisante.
Quand les cales sont pleines, quand l’équipage est complet.

Ce jour-là, décidé par le capitaine, la veille ou la semaine précédente, parfois le matin même, car « la météo a changé », la grand’voile est libérée de son lazy-bag, prête à être hissée, ou le spi, sorti de la cale, est déplié sur le pont. L’annexe est bien arrimée, le sac de secours est remonté dans le cockpit. Dans le carré, les objets sont rangés et casés, les coffres sont fermés, la fermeture des hublots et des capots est vérifiée.

Le mousse s’installe au guindeau, le capitaine à la barre. On appareille pour « la grande traversée ». Une émotion pince le cœur, une pointe de fierté pour celui qui va accomplir son petit défi personnel, le bonheur de retrouver la navigation en haute mer pour le marin.

Naviguer

Moetera navigue au large. Des indices prouvent qu’il a quitté les eaux namibiennes : à bord, on délaisse les chaussettes, les coques ne baignent plus dans les eaux froides du Benguela, et les otaries ne viennent plus chercher Moetera pour une course de vitesse.

Cap au nord/nord ouest, destination l’île de Sainte Hélène, 1300 milles à partir de Walvis Bay en Namibie, une dizaine de jours estime le capitaine.

Les journées s’enchaînent, vent portant, on navigue au spi. Une brise mollissant en fin de nuit et reprenant vigueur dans la matinée freine un peu la moyenne.
À bord, la routine s’installe, rythmée par les quarts de veille, les siestes, les repas.
Quand la navigation devient un moment de paix, de lecture, d'écriture, d'un possible enrichissement de l'âme, alors c'est un régal.

Parfois un évènement vient perturber le rythme lent et répété.
Un rail à traverser, celui qui rallie l’Europe à l’Asie par le cap de Bonne Espérance. Quand un voilier navigant à 6 nœuds croise un tanker propulsé à 20 nœuds, et que celui-ci est repéré à une distance de quinze milles sur l’écran, il n’y a pas d’urgence à gérer, mais la vigilance reste une constante. Il arrive que le petit voilier se faufile entre deux cargos, l’un montant, l’autre descendant.
Un grain menace, il se rapproche et vient noircir le ciel de Moetera. Le capitaine affale le spi et déroule le foc.
D’autre fois, il faut incliner le cap de quelques degrés pour retrouver l’axe du vent qui gonflera le spi.

Une silhouette à l’horizon

"On m'appelle Horizon Lointain. Je suis tout le temps étendu sur la terre, et les yeux des gens me guettent. Une mince ligne qui passe entre la mer et le ciel, voilà ce que je suis. Je ne bouge jamais. Je suis toujours immobile, le jour, la nuit. Quelques fois les nuages et la brume me cachent, et je peux dormir, à l'abri des regards. Mais quand le ciel est bleu et que la mer est dure, je suis pareil au fil d'une lame, inflexible, inaccessible, la seule barrière qu'on ne franchira pas. Je garde toujours mes distances, retiré dans ma demeure étroite.»

Qui mieux que JMG Le Clézio, pour évoquer l'horizon, compagnon de route du marin ? Complice du vagabondage de l'âme, l'horizon invite à l'imagination sans limites.

En mer, l’horizon est une ligne indigo, bosselée de petites vagues ou d’une houle formée. Vers l’ouest, l’horizon est la promesse d’assister au coucher de soleil, il flambe quelques instants avant de se diluer dans la pénombre de la nuit, quand on ne distingue plus ciel et mer. Vers l’est, on y guette les premières lueurs du jour. La brume ou la tempête ont le pouvoir d’abolir l’horizon.

Le capitaine scrute les nuages qui s’amoncellent sur la ligne, à l’arrière, il surveille le ciel noir qui menace, l’arrivée d’un grain. Jamais les applications météo ne pourront fournir des informations aussi précises qu’un horizon en mer.

Scruter l’horizon, c’est aussi guetter la terre. Les appareils modernes ont fait descendre les vigies de leurs mats. Désormais, les approches sont facilitées par l’attirail électronique de positionnement.
Il n’empêche. Observer la naissance d’une silhouette à l’horizon, apprécier la métamorphose d’une ligne floue en un relief élevé, sombre et imposant, ou en un long trait clair qui deviendra dunes et plages. Ne rien comprendre à ce fatras de lumières d’une métropole qui éclaire l’horizon d’un halo jaune, mais avoir le temps d’en comprendre l’ordonnancement, puisque le voilier avance toujours à l’allure d’une bicyclette.

À bord de Moetera, on ne déroge pas à la tradition. Après une traversée un peu compliquée comme celle de l’Indien, le mousse se souvient avoir versé quelques larmes d’émotion (et de soulagement !) quand les premières lignes de l’archipel des Seychelles furent aperçues. Après 20 jours secoués, pensez donc, une victoire sur soi-même !

Cette fois-ci, la navigation est clémente et Moetera approche l’île de Sainte Hélène, le système de positionnement (AIS) est précis ! Encore une quarantaine de milles, et l’apéritif sera pris à bord, au mouillage de James Bay, devant le village qui tient lieu de capitale, Jamestown.
Alors le mousse s’installe sur le tabouret de barre et scrute. En milieu d’après-midi, le capitaine interpelle : on voit l’île, ça y est ! Le mousse plisse les yeux. Oui, une silhouette foncée et élevée se dessine. Une silhouette de bicorne ? Pourquoi pas ! On vous dit, l’horizon pousse à l’imagination.
La masse anthracite, devient noire, le relief s’élève. La silhouette devient falaises. « ce rocher est tout à fait sinistre » aurait dénigré Napoléon qui n’appréciait pas le l’île choisie par les anglais pour son exil.
La nuit tombe quand le catamaran contourne l’île par le nord. Les falaises sur bâbord se muent en gueules noires. À leur sommet, quelques lumières des maisons scintillent. Deux feux et des amers guident le capitaine. Une longue chaîne de lumières grimpe une falaise, nous comprendrons le lendemain qu’il s’agit d’un escalier qui relie deux villages, celui niché dans la gorge, et l’autre surplombant les parois vertigineuses.





Commentaires

  1. On attend avec impatience la suite de votre aventure !
    L’eau est en bouche , la curiosité aux aguets et surtout l’admiration pour l’équipage toujours présente 🤗
    Prenez soin de vous et éclatez vous , mille câlins ❤️

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