Mozambique 5 - Chiloane
Apparition
Comme presque chaque jour, je passais la journée chez mon oncle. J’aide un peu et ma tante me nourrit. Ça me va. Ce matin, je me reposais à l’ombre du manguier avec mon oncle. C’est la fin de la saison sèche, à part les corvées d’eau, il n’y a pas grand chose à faire au village. On attend les pluies des mangues pour commencer à nettoyer les rizières avant de planter. Il fait déjà chaud pour la saison. Je regardais vers la mangrove comme ça, pour rien. Je rêvassais. C’est là que j’ai vu deux mzungelos apparaitre, là-bas, après la rizière qui borde le jardin de la tante. Ils arrivaient par la vasière.
Oh regarde tonton ! L’oncle et moi, on a bondi sur nos pieds, les mains en visière pour mieux voir.
Franchement, je n’ai jamais vu une chose pareille. Deux mzungelos, pas tout jeunes, des vieux même, de la glaise jusqu’aux genoux, qui se dirigeaient vers nous.
Tonton, viens on va les voir !
Sur la digue, mon oncle les a accueilli. Bom Dia a répondu le mzungelos. Sa dame, elle essayait de se nettoyer les jambes en les frottant avec du sable sec. Franchement, pas très malin de traverser à marée basse, surtout en grande marée comme en ce moment !
Mon oncle, il avait du mal à se contenir, il aurait voulu rire comme les cousins qui ont accouru en curieux sur la digue et se moquaient bruyamment, mais il sait se tenir, il les a accueilli comme il faut. Le mzungelos a demandé s’ils pouvaient visiter le village.
Bon, moi, je vois pas très bien ce qu’il a d’intéressant le village. Nos cases, nos jardins, les rizières… y a rien à visiter ici. Il y aurait bien eu le hangar de pêche, celui que les chinois avaient construit quand j’étais petit, mais le grand cyclone l’a détruit, et depuis, c’est une ruine. Ils n’ont pas compris les chinois, le béton, ça ne se reconstruit pas facilement ici. Nos cases c’est plus facile, le limon on en a autant qu’on veut dans la vasière, la preuve, les jambes des mzungelos s’y sont enfoncées jusqu’aux genoux.
Mzungelos
Je n’ai pas de prénom parce que les mzungelos ont oublié de me le demander, j’ai peut être douze ans, ou un peu plus.
Mais moi, je n’oublierai jamais cette journée. J’ai accompagné le mzungelos le matin, et aussi l’après midi. J’ai porté son sac, je l’ai aidé à tirer sa pirogue à moteur de la vasière, il m’a même emmené faire un tour ! Je l’aime bien moi le mzungelos. Il m’a donné sa casquette ! Je ne la quitte plus.Mon oncle les a guidé vers le village du bas. Le mzungelos a pris des photos qu’il a donné aux cousins et pendant ce temps, sa dame, elle photographiait tout, même les cages à poules… Ensuite, le mzungelos a demandé si on avait besoin de quelque chose.
Tout, aurait envie de répondre tonton, on a rien ici !
Ils ont dit qu’ils reviendraient. Avec les cousins, on a fait des paris, il y avait le clan des négatifs, moi j’étais persuadé qu’ils tiendraient leur promesse. On s’est installé sur la plage, on a attendu.
La mer est revenue. Elle a envahi le bras qui sépare notre ile de la mangrove et le vent a réveillé le clapot.
On a entendu un bruit de moteur. Pas le pétaradant de nos pirogues, alors ça ne pouvaient être qu’eux. Là aussi on a bien ri, ils se sont trompés de plage, on a du courir vers eux. Mais on était vraiment contents qu’ils reviennent, et mon oncle et moi, on a gagné notre pari !
Distribution
Il y avait des sacs pour nous dans leur pirogue à moteur, même une voile. Bon, elle est rose, drôle de couleur pour une voile, mais ça rendra bien service aux pêcheurs quand même. Cette fois-ci, on est passé par les digues et la passerelle. La dame continuait de tout photographier, même la passerelle en bois qui traverse la mangrove, heureusement qu’elle n’est pas venue après la saison des pluies quand elle est toute pourrie !
C’est sous le manguier, devant la maison de l’ancien, qu’on a fait la distribution.
Ça été toute une affaire. On a ri, on a crié, on était joyeux, c’était la grande excitation. On a fait deux groupes, celui des hommes avec le mzungelos et l’ancien qui commandait, et celui des femmes, avec les deux vieilles, et les mamans avec bébés avait dit la dame. Tout le monde voulait un savon, un sac de farine, un leurre.
Ensuite, on a repris la promenade dans le village, et puis les mzungelos sont repartis dans leur bateau blanc.
Le lendemain au lever du soleil, les cousins, qui partaient tendre leurs filets devant l’île, ont vu les deux grands daws blancs franchir la passe et se diriger vers l’océan.
Voilà, c’était fini. Une journée de fête !
Maintenant la vie reprend son cours sur ma petite île de Chiloane.
Rencontre à Chiloane
Il y a eu la rencontre de Caroline et Peter, à Tana, au Vanuatu.
Il y a eu celles de Victor et Doria à Madagascar.
Il y a désormais la rencontre avec les villageois de l’île de Chiloane au Mozambique.
Chiloane, c’est un minuscule haricot de sable et de limon posé entre le confluent de deux petits fleuves et l’océan.
Vasière
Deux jours confinés dans le bateau qui vibre sous l’attaque des rafales.
Le troisième jour, le calme revenu, le capitaine propose de visiter le village sur la petite île à l’entrée de l’estuaire.
Marée d’équinoxe, et à cette heure, basse. Le bras qui sépare l’ile de la mangrove est vidé de son eau. L’annexe se faufile dans un étroit passage.
Prends l’ancre et tire le câble au plus loin, la marée va remonter, ordonne le capitaine. Les pieds du mousse sont aspirés par le limon. Relever le pied lourd de boue grise, lisse, gluante et recommencer, éprouvant ! Parfois, l’aspirateur à pieds donne de la puissance et le mousse s’enfonce jusqu’aux genoux.
Pas très fier le mousse. Il imagine, tapies dans la profondeur, des bêtes démoniaques prêtes à lui dévorer les orteils. Ça motive, ça aide à trouver la force d’expulser le pied et d’avancer. Les centaines de bêtes démoniaques, minuscules crabes violonistes, fuient le pied qui vient écraser leurs galeries.
Tricot politique
Aux abords d’une première case, ayant atteint une digue de boue sèche, le mousse se frotte les mollets gris de limon sous les rires moqueurs de jeunes gens accourus en curieux. Un homme au tricot jaune s’approche.
C’est important la couleur du tricot en saison d’élections au Mozambique. Jaune, c’est l’opposition, rouge, c’est le parti au pouvoir et qui compte le rester coûte que coûte. Dans le village, la foule est bi-colore. En période d’élections, les partis sont de généreux donateurs de tricots.
L’homme au tricot jaune invite les mzungelos à le suivre. Un petit garçon marche dans les pas du capitaine.
On passe devant des cases, on traverse les jardins, on se salue. Deux anciens sont assis sur le seuil de leur case. Le guide du mousse fait signe qu’il est convenable d’aller les saluer. Les anciens sont heureux de saluer un mzungelos et le font savoir dans un large sourire édenté. Non, désolé, pas le temps de m’asseoir avec vous, je dois repartir au bateau, explique le mousse en langue des gestes.
Juste faire plaisir
Retour à bord. On trie, on fourre dans des sacs quelques présents, la moitié d’un ancien spi, du talc pour fesses de bébé, des dosettes d’acide borique pour les yeux des bébés, des compresses, des lunettes précieusement mises de côté depuis des lustres par le mousse pour un jour comme celui-ci, des lunettes de presbyte, alors, ce doit être possible de trouver preneur. Un peu de farine, du riz, des leurres, quelques habits de la princesse des licornes du sister-ship, une bassine, des pains de lessive et de savon, des flacons de vernis à ongle, tout ce bric à brac est chargé sur les épaules des garçons venus à la rencontre de l’équipage l’après-midi.
File indienne sur le chemin. En tête, les jeunes porteurs, suivi du capitaine accompagné de l’ancien, celui qui a pris les commandes de l’opération. Il évoque son village, agitant les bras en langue des gestes. Le mousse ferme la file. Il voudrait prendre son temps, celui d’inscrire dans sa mémoire chaque minute de cette journée.
Des froissements discrets dans son dos ? Le mousse se retourne, surpris. Il est suivi par bonne douzaine d’enfants, eux aussi en file indienne, marchant en silence. Un peu effrayés à la pensée d’être chassés, ils retrouvent le sourire devant le sachet de sucettes qui s’ouvre pour eux.
La troupe est arrivée devant la case de l’ancien.
Dans l’ombre du vieux manguier, deux chaises en plastiques sont installées. Deux groupes se forment. Les hommes entourent le capitaine et l’ancien qui prend la direction de la distribution. Deux vieilles femmes se sont assises en face du mousse. Les mamans avec bébés dans les bras sont invitées à s’approcher. La répartition se fait dans la bonne humeur. Une des deux vieilles offre son capulana au mousse. Pour la remercier ? Ou parce que la convenance au Mozambique veut que ses jambes blanches et nues soient couvertes ?
Loin du monde des selfies
Le capitaine prend les jeunes en photo et leur offre l’instantané. On se bouscule pour voir le cliché, on se moque un peu, par pudeur, parce que ce n’est pas naturel de se voir sur une photo. Le mousse montre aux enfants leurs portraits sur le petit écran de son appareil et, dans l’instant, les reprend en photo. Regards d’enfants qui ne se sont jamais vus. Une petite fille aux nattes coiffées au carré, une figure de poupée, se cache. Elle est effrayée et intriguée. Elle a accepté une sucette, mais se réfugie dans les jambes de ses cousins. Elle regarde l’objectif mais ne sourit pas. Elle ne sait pas que face à un objectif, la modernité exige de montrer le meilleur de son visage.
L’univers égocentrique du selfie n’a pas encore atteint la petite île de Chiloane.
La visite du village se poursuit. À la croisée de chemins, un groupe de femmes, aux capulanas et aux coiffes colorées, revient de la plage. Elles rapportent la pêche du jour, celle de leurs hommes qui sont restés sur la grève, le ramondage du filet, c’est chronophage. Pose devant le photographe. Instant sérieux.
Toute la journée, un petit garçon n’a pas quitté le capitaine, lui tenant la main, lui portant son sac, tirant l’annexe qui s’est éloignée avec la marée montante, heureux d’avoir fait un petit tour sur l’eau avec le capitaine.
Une rencontre, on vous dit.
J’adore ton reportage ma Carine 😘
RépondreSupprimerMerci ! On est encore submergés d'émotions ! et aujourd'hui, visite impromptue dans un village, même accueil ! Ils sont formidables les mozambicains !
SupprimerQuelle plume Carine ! Merci pour ce partage d’émotions et d’expériences inoubliables !
RépondreSupprimerQuelle belle rencontre, je comprends qu'elle marque à jamais ! Et si bien relatée. C'est un régal de te lire.
RépondreSupprimerMerci