Madagascar 1 - Cabotage dans le nord ouest

Boutre sur la côte NO de Madagascar - débarquement des marchandises par temps venté
Octobre 2022

Toute la planète a repris le cours déjà effréné de l’après confinement. Le monde d’après, on dit. Toute ? Non, un pays résiste. Plus précisément, ne rouvre pas à tout le monde, puisque les plaisanciers ne sont toujours pas les bienvenus. Madagascar a rouvert ses frontières aériennes en août seulement et comme pour se faire pardonner de son retard, Mada a rendu le visa de courte durée gratuit. Cela dit, le numéro du bulletin officiel l’annonçant n’a probablement pas été publié dans tous les postes frontières malgaches, puisque les Mzungus, qu’ils aient atterris par avion à Diego-Suarez (Antsiranana) ou par mer à Nosy Be durent s’acquitter de la modique somme de 10 $ par tête de pipe au titre du visa.

Pour l’heure, Mada reste fermé. Un voilier, un « Sud-Af » on dit, aurait été refoulé à Nosy Be, la porte d’entrée sur la côte NO de la grande île, à deux jours de navigation de Mayotte. C’est le ministère de la Santé qui n’a pas encore donné l’autorisation de l’ouverture. Mais non, c’est la police aux frontières qui tarde, rapport aux soucis avec des trafiquants. Il y aurait des kwassas qui arriveraient de Tanzanie, le virus Ebola est detécté en Ouganda, aux portes de la Tanzanie. De Tanzanie en kwassas ? Sacré bout de chemin tout de même. Escale prévue aux Comores, hub bien connu du terrible trafic humain dans cette région du monde.

Juillet 2024 

Les Mzungus appareillent, direction le nord de Madagascar, ils veulent aller fricoter du côté du Cap d’Ambre. En cette saison l’objectif est un peu sportif, mais le capitaine souhaite tester son matériel avant le grand départ prévu en septembre. Le cap nord de l'île rouge est réputé pour ses vents violents d’est en ouest d’avril à septembre. Les Mzungus s’en approcheront, mais n’iront pas  jusqu’à se jeter dans la gueule d’un mauvais vent, contraire et violent.

Sauf que… Mada est de nouveau fermé aux plaisanciers en provenance de Mayotte.
C’est une manie chez eux !

Motif : épidémie de choléra. Le ministère de la Santé a de nouveau frappé. Le spectre de l’épidémie meurtrière de 1999 à Mahajunga est encore vif dans les mémoires endeuillées.

Ça se comprend.

Mais ça tombe mal.

Le catamaran est venu 4 fois pendant ces deux années d’escale à Mayotte. Il a sillonné les côtes et les archipels du NO de la grande île sur une distance de près de 250 milles, légalement ou discrètement. Il s’est fait plaisir. L’aire de jeu en vaut le coup.

Si, par un heureux hasard, un plaisancier souhaitant croiser dans cette région lit ces lignes, il trouvera dans la rubrique « Table à cartes », les références de Roméo, agent de liaison à Helleville- Nosy Be. L’équipage put profiter de ses services à deux reprises.  Roméo a su démontrer son efficacité et sa réactivité, facilitant les procédures, puisque bien connu des autorités, très mobile dans son tuck-tuck, toujours prêt à rendre service, et souriant ! Une vraie référence Roméo.

La valse des pirogues

Le cabotage, en plaisance, est le mode de navigation idéal pour apprécier la découverte d’un territoire et ses habitants. La géographie de la côte est malgache s’y prête précisément fort bien. 

Baobabs dans la baie de Moranga sur la côte nord ouest de Madagascar

Naviguer le long des rivages de sable blanc ourlés de filaos et de ficus, les silhouettes de baobabs ajoutant le prestige malgache à ce paysage, contourner un des multiples îlots, « nosy » en malgache, s’y arrêter pour aller se dégourdir les jambes ou plonger sur des récifs de coraux, un vrai régal on vous dit ! En soirée, on mouille à l’abri d'une petite anse d’un nosy ou dans l’entrée d’une baie.

Un spot, dans le langage du globe-trotter.

Ici, le système des vents est l’atout majeur pour qui navigue à la voile. Le vent d’est pousse vers le large le matin. À la mi-journée, c’est la bascule, le temps du retour. Facile. 

Le catamaran adopte le rythme des pêcheurs et s’invite dans la valse quotidienne des pirogues.

La hausse du prix du carburant n’est pas l’affaire des pêcheurs malgaches qui n’ont pas de moteurs à leurs embarcations ; pagaies et voiles sont les seuls moyens de propulsion. De rares boutres pontés et motorisés assurent le ravitaillement des hameaux isolés le long du rivage. Et quand le catamaran se rapproche de l’ile touristique Nosy Be, les voiliers charters et les vedettes moteurs entrent dans la danse.

Il y a du monde sur l’eau. Pirogues à balanciers, pirogues monoxyles (un tronc = un homme), boutres, goélettes.

Pirogues de pêcheurs sur la côte nord ouest de Madagascar
Pirogues de pêcheurs sur la côte nord ouest de MadagascarPirogues de pêcheurs sur la côte nord ouest de Madagascar

On se croise, on s’interpelle, on va causer le bout de brin avec le cousin, celui qu'on n'a pas vu depuis la naissance du petit dernier. On regrette le temps des pêches faciles, c’est dur maintenant de rapporter de quoi nourrir la famille. La ressource se raréfie ici aussi.

Sur le catamaran en navigation, le Nikon crépite. 

Le pêcheur s’est fait artiste. 

Belle goëlette aux voiles en patchwork sur la côte nord ouest de Madagascar

Coloriste, le pêcheur a composé sa voile dans un camaïeu de toile de sac de riz, d’un vieux drap, et plus rarement d’un morceau de voile de kite abandonné par un touriste. Il a fabriqué sa voile avec tout ce qu’il trouve. Le Mzungu se dit que les sociétés riches brandissent l’upcycling comme un art de vivre. À Madagascar, c’est de la survie et du bon sens.

Danseur, le pêcheur se tient en équilibre sur la vergue, simple long bois de bambou, et la pression qu’il donnera permet de virer ou simplement d’incliner la route selon le vent.

Mouillages et pêcheurs

Dans cette région, les cartes marines manquent de précision. Choisir un mouillage sûr, qui ne risque pas de mettre le bateau au sec à marée basse, où le courant n’est pas trop fort, où le clapot ne rendra pas la nuit pénible, exige du capitaine une étude fine de la carte et des photos satellites désormais accessibles à tous. Ajouter une pincée d’expérience de marin. Voire un bon flair et une méthode.

Lorsque l'approche s’annonce délicate, le mousse s’installe devant la table à carte. Ne rêvons pas, le folklore du marin penché sur la table à carte, son compas à la main, s’est incliné depuis une paire d’années devant la cyber modernité. Le mousse, non pas penché, mais les yeux levés sur le grand écran du PC dans le carré, étudie carte marine et photos satellites. Le capitaine à la barre entend ses indications et garde un œil prudent sur le sondeur. Un mille devant, maintiens le cap. Prends 20° à tribord, on stoppe dans … alors là, le mousse hésite. En milles nautiques, ça fait nul : 0,2 milles, ça s’écrit, ça ne se dit pas, estime-t-il.  On va quand même pas se parler en pieds ! Alors, il repasse en mode métrique.  

Le catamaran s’est arrêté, il a choisi ce mouillage pour quelques jours. Des réparations sont programmées à bord. La large baie au pied du Windsor Castle, qui comme son nom l’indique si bien, est une tour édifiée par des colons français, offre le parfait abri. Le matelotage et la couture sont des activités plus faciles quand le bord ne varie pas d’horizon.

Baobab en fleur et catamaran dans une baie du nord de Madagascar

Les pêcheurs reviennent du large. Ils saluent de loin. Les malgaches sont aimables, souriants, accueillants. L’approche n’est pas immédiate. Les malgaches ne sont pas intrusifs. Ils viendront saluer de près le voilier après avoir un peu pêché autour. Prétexte. 

L'un d’eux se décide. Il se présente à la jupe du catamaran. Michel-Roger. Il se fend d'un large sourire, forcément édenté.  Son petit garçon l’accompagne, il est l’écopeur de la pirogue qui naturellement boit l’eau autant qu'elle peut. Michel-Roger tend un vieux sac de toile, sale et rapiécé au fond duquel il fourre sa main pour en sortir des œufs de canes et une branche de mangues encore vertes. Le capitaine accepte. 

En fonction du produit, un crabe de palétuvier, une carangue, des papayes, la nature de l’échange se fait en monnaie locale, parfois en euros, en tricots, en farine, en sucre. Le pêcheur voudrait aussi des palmes neuves. Il tend la sienne, usée à en avoir perdu la moitié de sa longueur ! Le capitaine trouve un masque, c’est déjà ça. Le capitaine, pour les prochaines navigations, a prévu de s’équiper de leurres et fils de pêche à donner.

Parfois, c’est une pirogue de femmes qui accoste le catamaran. Echange de bananes contre lessive. Une bouteille de shampoing est vécu comme une offrande méritant une fête à bord de la pirogue. 

Le mousse imagine ces femmes qui, revenues au village avec le pain de lessive, auront envoyé les enfants à la corvée d’eau. Les petites silhouettes, seaux sur la tête ou dans la brouette, longent le rivage et vont tenter de remplir leurs seaux au maigre filet d’eau de la source. Fin de saison sèche. 

Dans le nord, les fermes de zébus sont isolées. Du côté de Moramba et de Nosy Lava, plus au sud, les petits hameaux se serrent le long du rivage. Les cases rectangulaires se font face à face le long d’un axe central. En saison des pluies, on patauge. 

Justement, la saison des pluies. C’est aussi celle des orages.

Aussi régulier que la bascule du vent à la mi-journée, l’orage noircit le ciel en soirée. Il vient de la terre. Cette fois-ci, le capitaine, ayant repéré l’énorme masse noire dans l’est qui s’approche, a prévu de se mettre à l’abri. 

Baie d’Ampanakana. Une baie étroite et profonde. Encore une fois, l’abri idéal. Le mousse sert le diner. Il fait nuit. Le ciel noir passera au large, l’équipage est confiant.

Soudain, une rafale d’une violence inouïe, 50 noeuds en quelques secondes, secoue le catamaran. L’orage entre dans la baie. 

Pile dans l’axe. Une probabilité à faire pâlir de jalousie un parieur.

Le capitaine réagit. Allumer les moteurs, soulager l’ancre. 

La tornade attaque sans pitié le catamaran. De face, par l’arrière, sur tribord. Une rafale plus violente s’en prend à lui de face. Le catamaran recule. Le capitaine force l’allure. 

Dans le vacarme de la tempête, le mousse, resté dans le carré, distingue un bruit de chaine. 
D’une chaine qui se déroule. 

On l’a perdu ! crie le capitaine. Le catamaran recule encore. La tempête fait son affaire en quelques minutes. Mais ce sont de longues minutes pour le capitaine. Le temps est élastique. Ce sont des minutes fatales, cette espèce de minutes bien connue des marins dans le gros temps. Le catamaran s’est approché du platier. Le naufrage est évité de justesse. 

La tornade passée, le capitaine installe l’ancre de secours. Le lendemain, l’équipage passera une partie de la journée à chercher l’ancre. En vain, elle s’est enfoncée dans des siècles de vase, perdue à jamais.

Depuis cet incident, le catamaran dispose d’une nouvelle ancre, ultra-sécurisée par un ingénieux système conçu par le capitaine. En bon marin, il tient compte des leçons et trouve des solutions adéquates.

On l’aura compris, l’équipage a aimé ces navigations, et s’il n’aura découvert qu’une infime partie de la belle île rouge, la rencontre restera un must de leur circumnavigation.




Commentaires

  1. encore des aventures comme celle-ci !
    mais soyez prudents.bises au mousse et félicitations au capitaine

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